Coup d’Etat en République centrafricaine (mars 2013),
coup d’Etat au Mali (mars 2012)… Qui dit « coup d’Etat » évoque un putsch
militaire renversant des autorités légalement installées. L’Amérique latine en
connut de nombreux depuis la seconde guerre mondiale. Le président Manuel
Zelaya fut la victime d’un tel renversement en 2009 au Honduras, de même que
son homologue Fernando Lugo au Paraguay en juin 2012.
Cette forme caricaturale de coup d’Etat laisse penser
que les démocraties européennes se trouvent hors de portée de telles épreuves
de force. Pourtant, il existe toutes sortes de coup d’Etat qui n’impliquent pas
forcément le port de l’uniforme. Ainsi le Premier ministre hongrois, Viktor
Orbán, a fait voter par son parti ultraconservateur (le Fidesz, Alliance des
jeunes démocrates), quatre réformes constitutionnelles en quinze mois qui ont
pour points communs de
restreindre la liberté de la presse, d’encadrer le
pouvoir des magistrats et le pluralisme politique. Cette situation s’apparente
à une sorte de « coup d’Etat constitutionnel » au sein même de l’Union
européenne.
Si le parti de M. Orban se promène aux lisières
vénéneuses de l’extrême droite, d’autres formations politiques semblent, quant
à elles, aussi disposées à tordre le droit en abusant de leur rapport de forces
institutionnel. Que penser par exemple de l’attitude du président Nicolas
Sarkozy dans le dossier des retraites ? Dans sa campagne, il avait clairement
annoncé qu’il n’opérerait aucune réforme de ce droit social. Trois ans après,
il lance une vaste modification de la durée de cotisation et du calcul du
montant des pensions. Plusieurs manifestations de millions de citoyens le
laissent de marbre et sa majorité parlementaire lui permet de faire passer sa
réforme. ? Si tout est légal dans ce processus, n’y a-t-il pas une torsion
préoccupante du droit ? Que vaut un engagement pris devant les électeurs face
aux nécessités de la conduite gouvernementale au quotidien ? M. Sarkozy s’est
en effet justifié en invoquant les circonstances nouvelles créées par la crise
financière de 2008. L’importance massive de la mobilisation populaire ne
jetait-elle pas le doute sur la légitimité du revirement présidentiel ? Une
sorte de coup d’Etat juridique s’est déroulé en plein cœur d’une démocratie
avancée.
Par ailleurs, lorsque le Conseil constitutionnel rejette
la baisse de 30% du salaire du président de la République, le 9 août 2012, au
motif que la séparation des pouvoirs interdirait au Parlement de voter la
rémunération de l’exécutif, le doute n’est-il pas permis sur l’interprétation
ainsi faite de la Constitution. En effet quelle autre instance que la
représentation nationale peut-elle voter le budget des autorités
gouvernementales ? De même, lorsque le Conseil invalide les premières lois de
nationalisation en 1982 au prétexte que l’indemnité accordée aux propriétaires
expropriés ne serait pas « juste » au sens de l’article 17 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen, ne se substitue-t-il pas aux élus de la
nation ? Les appréciations, parfois subjectives de la Haute assemblée,
autorisent en pratique une sorte de coup d’Etat constitutionnel. La question
prioritaire de constitutionnalité, qui permet aux citoyens de saisir
directement le Conseil, a encore accru son champ d’intervention sans résoudre
ce problème.
Enfin, en transférant des compétences de plus en plus
importantes, exercées sans le moindre contrôle démocratique, l’intégration
européenne n’instaure-t-elle pas un état d’exception ? Le traité sur la
stabilité et la gouvernance (entré en vigueur en janvier 2013) et les projets
d’union bancaire poursuivent dans cette voie en créant des autorités
administratives dotés de réels pouvoirs sans aucun lien avec le suffrage
universel. Au nom d’une efficacité ou d’une technicité qui sert avant tout les
intérêts des classes dominantes, les peuples européens ne vivent-ils pas un
coup d’Etat permanent ? Symbole de ce renversement de légitimité, l’adoption
par le Parlement français du traité de Lisbonne, traité jumeau du traité
constitutionnel européen rejeté par les électeurs le 29 mai 2005. Les élus du
peuple ont ici sciemment violé le verdict de la souveraineté populaire,
commettant un coup d’Etat légal. La créativité des juristes et les déséquilibres
institutionnels remplacent aisément les fusils et les uniformes militaires.
Anne-Cécile Robert Le Groupe République!
http://www.le-groupe-republique.fr
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