mercredi 23 novembre 2011

Lettre ouverte aux candidates et candidats à l'élections présidentielle

Objet : Présence de l'enseignement public sur tout le territoire, notamment à Beaupréau.
Cette lettre fut personnalisée pour  les candidats suivants N. Arthault  F. Bayrou,  J. P. Chevènement,  N. Dupont-Aignan,  F. Hollande, Eva Joly,  J. L. Mélenchon. Elle fut envoyée au NPA et au POI. L'UMP local fut informée, mais non destinataire. En effet le ministre de l'E. N. de ce parti n'a jamais daigné répondre aux courriers des collectifs et aux parents d'élèves.
La presse locale n'a pas jugé bon d'y faire écho.

Lettre ouverte.

Angers le 10 novembre 2011


Le Collectif pour la promotion de l'école publique dans les Mauges.
L'association des parents d'élèves des écoles publiques de Beaupréau.
Le Collectif vigilance Laïcité de Maine et Loire :
FCPE – FOL– Francas- FSU – JPA – LDH- OCCE - SNEP - SNES –  SNESUP- SNUipp –Solidarité Laïque - Sud-Education– UNSA Education.
Siège : 14 bis avenue Marie Talet – 49100 ANGERS

à

Mesdames et messieurs les candidates et candidats à l'élection présidentielle.

Objet : cité scolaire publique de Beaupréau et présence de l'enseignement public sur tout le territoire


Monsieur

"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion."
De cet article premier de la Constitution découle l'article L 141 1 du code de l'éducation stipulant que "l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les niveaux est un devoir de l'Etat".
Ce n'est pas encore le cas dans le Maine et Loire, dans les Mauges, à Beaupréau. Dans ce chef lieu d'un canton de 27 000 habitants, le Conseil général de Maine et Loire diffère la construction d'un collège public alors que la construction d'un lycée public d'enseignement général et technique est acté pour 2015. La logique de la continuité scolaire dans l'enseignement public de la maternelle à la terminale aurait voulu que ce collège public soit construit cette année. En se référant aux seuls élèves fréquentant les écoles primaires publiques du canton, il aurait accueilli 79 élèves en sixième. Mais, le Conseil général, pour ne pas répondre à la demande des parents du canton, élargit l'offre de l'enseignement public aux cantons voisins. Il avance alors des arguments qui ne résistent à une analyse objective. En effet, le collège public le plus proche (10 kms) atteint déjà 85,25% de sa capacité maximale et celui qui est situé à 20 kms a un taux de remplissage de 75,56%. Eu égard à l'augmentation de la population et au développement des écoles primaires publiques dans les Mauges, il est incontestable que, dans un an ou deux, ces collèges publics ne pourront plus accueillir les élèves du canton de Beaupréau. Ainsi, dès que le collège le plus proche (Montrevault) sera saturé des déplacements de plus 20 kms seront imposés à certains élèves.
Mais, pour revenir à l'article premier de la Constitution, même si des collèges voisins pouvaient accueillir des élèves du canton de Beaupréau (ce qui n'est pas le cas), serait-il juste que les élèves dont les parents ont choisi l'enseignement public soient obligés de prendre un car pour rejoindre leur établissement alors que ceux dont les parents ont (de gré ou par défaut) opté pour l'enseignement privé ne connaissent pas cette contrainte.

En effet, à Beaupréau l'enseignement privé catholique secondaire dispose d'un collège, d'un lycée d'enseignement général et d'un lycée professionnel.
Ce monopole de l'enseignement catholique secondaire cessera enfin en 2015 avec l'ouverture du Lycée public. Cette nouvelle situation déplaît fortement à l'enseignement catholique. En vain, ses responsables ont multiplié les démarches auprès du Conseil régional pour conserver l'exclusivité de l'enseignement secondaire. En revanche, celles qui furent menées auprès du Conseil général ont abouti. Les conditions fixées par le Conseil général sur le remplissage préalable des collèges publics des cantons voisins l'attestent. Elles visent tout simplement à retarder la construction du Collège public à Beaupréau qui, en partie, alimenterait le lycée public. En effet, la réussite immédiate qui en découlerait, précipiterait une fuite d'élèves de l'enseignement catholique vers l'enseignement public. Pour cette raison, d'ailleurs, l'enseignement catholique a osé menacer d'ester contre la création du lycée public pour "concurrence déloyale". Peu leur importait, qu'au nom du libre choix, la concurrence soit ailleurs leur crédo.

Devant la position partisane du Conseil général, les syndicats de l'enseignement public, les parents d'élèves de la FCPE, les DDEN ont présenté un vœu au Conseil départemental de l'Education nationale du 15 novembre 2010. Ce vœu voté à l'unanimité moins une abstention, conformément au décret No 86-486 du 14 mars 1986 pris pour l'application de la loi No 85-583 du 10 juin 1985 demandait à Madame l'Inspectrice d'Académie de proposer à Monsieur le Préfet de mettre en demeure le Conseil général d'inscrire le Collège public de Beaupréau au programme prévisionnel de ses investissements.

Il fallut une lettre recommandée pour obtenir une réponse de Monsieur le Préfet. Celle-ci, datée du 2 août 2011, fut sans équivoque. En reprenant les arguments du Conseil général, Monsieur le Préfet signifiait qu'il refusait de prendre en compte le vœu présenté par le Conseil départemental de l'Education nationale.

Sous le couvert d'un fonctionnaire d'Etat nommé par le Président de la République, l'Assemblée départementale de Maine et Loire peut donc en matière scolaire, à Beaupréau, pratiquer une politique contraire aux valeurs de la République. Le refus de Monsieur le Préfet donne tout le sens à l'absence de réponses de Monsieur le Ministre de l'Education nationale aux différents courriers envoyés sur ce sujet par les parents d'élèves et les collectifs.

Les organisations signataires vous demandent si, élu(e)s, vous pourvoiriez sur tout le territoire et notamment à Beaupréau, à l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque.

Les organisations signataires n'ont pas l'intention de baisser les bras et d'attendre sans protester le bon vouloir du Conseil général, le 19 décembre, jour de l'ouverture de la session de fin d'année de l'Assemblée départementale, devant les grilles de la Préfecture à 9h 30, elles organiseront une conférence de presse et poseront symboliquement la première pierre du Collège. Elles manifesteront ainsi tout à la fois contre les positions conjointes du Conseil général et de Monsieur le Préfet. Nous serions d'ailleurs heureux d'y accueillir un de vos mandataires.

    Dans l'attente de votre réponse, les membres des Collectifs et les parents d'élèves de Beaupréau vous prient d'agréer l'expression de leurs sentiments républicains.

mardi 22 novembre 2011

LE NUMERO 98 EST PARU

Retrouvez le tout dernier Anjou Laïque avec au sommaire :

- Abécédaire de la crise
- Beaupréau
- Histoires de murs
- Les accroche-cœurs 2011
- Les conseils de la librairie contact
- Les humeurs de Nono en dessin
- de nombreux autres articles de société ...

TELECHARGEZ LE NUMERO 97

Le numéro 98 de l'Anjou Laïque venant juste de sortir, vous pouvez télécharger le N°97 gratuitement en cliquant sur le lien ce dessous.

Bonne lecture


lundi 21 novembre 2011

La Marche d'Ella ou les espoirs révolutionnaires de l'Afrique noire


Un journaliste qui  suit le cheminement d'une journaliste. Un journaliste qui effectue de nombreux séjours en  Afrique pour dispenser un  enseignement professionnel et qui parle de l'Afrique.
Vous l'avez compris Louis Le Méter maîtrise son sujet.

Même si « La Marche d'Ella » est classée dans la catégorie roman, la réalité vraie transparaît à travers la fiction.. Sans doute l'auteur ne localise-t-il pas la marche de son héroïne, mais son pays n'est pas imaginaire. C'est le Cameroun, le Togo, le Niger, le Sénégal, en fait c'est toute l'Afrique Noire. Louis Le Méter la décrit sans concession: corruption  à tous les étages, manipulations en tous genres, magouilles, violences, tortures, meurtres, censure de la presse, racket, abus de pouvoir des potentats et des petits chefs, luttes d'influence, une synthèse des pires situations, un véritable inventaire à la Prévert que l'on voudrait croire caricatural.
 Il y a les méchants. Il y a les bons. Classement peut-être un peu manichéen. Les bons rêvent moins du grand soir que des lendemains qui chantent. Ils ont l'ambition d'une Afrique devenue majeure; « La colonisation il est temps  de ne plus la prendre comme prétexte pour ne  pas avancer. Cela nous a certainement fait mal, mais on ne peut plus rester à danser nos vieilles nostalgies sur la place du village » fait-il dire à l'un de ses personnages féminins.
Ella est du côté des bons. Jeune journaliste dans un quotidien de la capitale, elle part pour réaliser un  reportage dans les mines de pierres précieuses. Ce sont les portes de l'enfer qu'elles franchit . Elle  découvre un univers à la Zola. Attirés par  un illusoire eldorado des paysans s'échinent à  défoncer le sol pour trouver quelques diamants. Rançonnés par les petits tyrans locaux, ils vivent dans la misère.
 L'auteur se veut optimiste.  La marche d' Ella est une manifestation de confiance en l'avenir. Prémonitoire, le texte de Louis Le Méter, écrit avant les révolutions arabes,  met en scène une révolution de l'Afrique noire. Ses personnages (les bons) parlent de liberté, de démocratie, de justice sociale, d'utilisation  des ressources du pays pour le bien de tous :  Jim, l'instituteur idéaliste, André, l'officier qui refuse de se plier aux ukases de son  supérieur, Jérôme, l'ingénieur dont les ouvriers ne sont pas des esclaves et qui vient de découvrir un gisement d'uranium qui fait l'objet de toutes les convoitises des profiteurs du système, et le vieux général échappé des prisons du dictateur.  Utopistes, naïfs, résolus, persuadés  que leur pays peut sortir de l'ornière, ils la font la révolution.

Pour Louis Le Méter la fiction qu'il a imaginée ne fait que devancer l' Histoire qui se réalisera un jour. Au rose de l'espoir de jours meilleurs s'ajoute le rose d'une  romance d'amour. Elle est jolie et amoureuse Ella, l'enfant qu'elle attend concrétise également la grande espérance.

Le style est celui du journaliste. L'alternance des exposés de situations et l'expression à la première personne de l'héroïne scande le récit. Les dialogues donnent à l'ensemble de la vie. Sentiments de révolte et émotion se dégagent de l'ouvrage.

Jean Goblet

La marche d'Ella.21 €
Louis Le Méter
Les Editions Persée. 

En vente à la librairie Contact.
                                                                                        
Louis Le Méter, ancien grand reporter à Ouest-France et collaborateur de l'Anjou laïque, anime de nombreux stages de formation en Afrique de l'Ouest et à Madagascar, avec l’ONG Ouest-Fraternité.

lundi 11 juillet 2011

HUMEUR : BECHU, LE BON ELEVE

Il se sent des fourmis dans les jambes dés qu'une compétition électorale est ouverte : municipales, européennes, régionales, Christophe Béchu souffre d'une électiomanie aiguë. Il se présente aux sénatoriales.
Son mentor, Marc Laffineur, député -maire d'Avrillé, vice-président de l'Assemblée nationale et président de l'UMP de Maine et Loire, n'a pas prononcé le mot, mais s'est senti trahi par celui qui avait été son attaché parlementaire et dont il  avait fait son premier adjoint à Avrillé. Il devrait pourtant se féliciter, Christophe Béchu fut un bon élève. Il a suivi les préceptes de son maître, lequel après lui avoir fait des mamours s'était présenté aux législatives contre René Lacombe, qu'il avait battu.

BREVES : LES BONNES ÂMES

Le Recteur d'académie de Nantes à répondu favorablement à la supplique des personnels de l'association Dom Sortais. Sous couvert de monsieur le Ministre de l'Education nationale, dans un courrier du 11 juin, il s'est prononcé contre la création du lycée public de Beaupréau. Le serviteur du Chanoine du Latran a exaucé les vœux des servants de Notre Dame de Bonne nouvelle. Le service public, lui, est excommunié.

dimanche 10 juillet 2011

HUMEUR : UN CHÔMEUR DE MOINS

Même si en Maine et Loire la diminution du nombre des demandeurs d'emploi est moins importante que dans les autres départements de la Région il y a des éléments positifs. Dominique Richard au chômage depuis qu'il a été dans l'obligation d'abandonner  son mandat de député au maire de Trélazé vient de retrouver un job. Ses petits amis de l'UMP  lui ont trouvé  je ne sais trop quel poste dans l'audiovisuel. Un contrat plus sûr que la députation.
On se souvient qu'il y a deux ans le fils de Roselyne Bachelot s'était lui aussi vu confier un poste de responsabilité dans un organisme public.
Sans commentaires.

BREVES : CYNISME

Monsieur Barouin, Ministre du Budget, porte-parole du gouvernement en plus, vient d’exposer tranquillement à France Inter que les dettes privées avaient été transférées en dettes publiques. Ce qui explique l’impérieuse nécessité pour l'Etat de se refaire une santé financière sur le dos de la collectivité en supprimant un poste de fonctionnaires sur deux, en fermant hôpitaux, classes, palais de justice… Bref pour se refaire une santé la finance privée a bénéficié d’une transfusion sanguine de la part de l’Etat, et celui-ci pour restaurer sa propre santé, suce le sang des citoyens qui n’en peuvent, mais.

samedi 9 juillet 2011

BREVES : OXYMORE

Depuis que le conseil régional a décidé d'implanter un lycée public à Beaupréau, l'oxymore est un style usité par de bonne âmes se portant au chevet de l'association Dom Sortais gestionnaire des trois établissements catholiques. L'oxymore, d'après le Larousse, "consiste à unir deux mots contradictoires pour donner à une idée une expression inattendue". Inattendu, en effet, de considérer le lycée privé catholique de Notre-Dame de Bonnes Nouvelles comme un établissement "conforme à la laïcité scolaire".

vendredi 8 juillet 2011

HUMEUR : MERCI MONSIEUR CHATEL !

Aux représentants de l'enseignement privé sous contrat qui se plaignaient de la réduction du nombre de postes, Luc Chatel, ministre de l' Education nationale a fait valoir : “ Si j'avais appliqué à la lettre la règle qui a été adoptée, sur 16000 suppressions de postes (dans le public) cette année il y aurait eu 3200 suppressions dans l'enseignement privé. Or la réduction ne sera que de 1533 postes. C'est moins de 10% de l'effort demandé.”. Pour le Ministre de l'Education nationale, le privé est une exception.

BREVES : TANT QUE JE SERAI VIVANT

Lors du débat à Beaupréau pour la cité publique scolaire, une participante a rappelé le serment, de l'ancien conseiller général Dominique Brossier : "Tant que je serai vivant, il n'y aura pas de collège public à Beaupréau.". "Nous savons ce qu'il nous reste à faire" en a déduit un autre participant. Que Dominique Brossier se rassure, c'était une boutade. Il a assuré ne pas vouloir la mort du pêcheur.

jeudi 7 juillet 2011

HUMEUR : NON AUX BUVEURS D'EAU !

Projets de golf à St Barthélemy et aux Ponts de Cé : il s’agit là d’un double gaspillage. D’abord gaspillage de terres qui, si elles ne sont pas toutes agricoles, pourraient être aménagées en zones vertes de loisirs, aux bénéfices de tous, et non pas de quelques uns
(dont un ou des groupes financiers). Gaspillage d’eau par ailleurs car on sait combien les golfs en sont démesurément gourmands.
Au total, des projets parfaitement contraires à l’intérêt public.

ARTICLE : LES APPELÉS DE LA BASE AÉRIENNE DE BLIDA ET LE PUTSCH DES GÉNÉRAUX.

Ce matin du vendredi 21 avril 1961 les gars qui descendaient de la garde de nuit n’étaient point fourbus comme à l’accoutumée, mais au contraire très excités. Ils avaient vu… mais on leur avait fait promettre de ne rien dire. C’en était trop ! On les presse de questions. Ils ont vu un avion atterrir de nuit, ce qui était rare mais pas extraordinaire sur cette base aérienne de Blida où j’effectuais mon service militaire depuis plus de deux ans. Oui mais, fait troublant, cet avion s’est posé dans le noir en bout de piste où des voitures attendaient tous feux éteints. Des silhouettes ont surgi de la carlingue et se sont engouffrées dans les voitures, puis les ombres se sont fondues vers l’est, vers Alger, tandis que l’avion disparaissait dans la nuit. Dans la journée, sous les hangars l’ambiance est lourde et pas seulement à cause de la météo. Je remarque, était-ce un code, que radio Alger diffuse souvent la chanson de Salvador « Faut rigoler ». Le soir mon copain « Bébert » qui semble toujours bien informé me dit : « Jacques, ils vont prendre le pouvoir, il faut faire discrètement, mais il faut faire réagir ». Nous convenons de nous revoir au milieu de la nuit. Bébert vient dans notre chambrée me réveiller, mais bien sûr je ne dors pas. Il a tout prévu, une clé « chouravée » nous permet d’entrer dans un baraquement en travaux et de prendre peinture et pinceaux, puis de peindre de grands slogans jaunes sur le noir de la chaussée. Je ne me souviens plus des textes, mais ils rappelaient ce qu’on nous avait seriné depuis si longtemps, « Le devoir d’un soldat est d’obéir », d’où cette conclusion, « Officier, obéis à ton chef, De Gaulle ».

Mais finalement ces slogans n’ont pas eu d’impact sur la détermination du contingent à rentrer en résistance. Radio Alger s’en est chargé dès le matin de ce samedi 22 avril en diffusant le message de la prise du pouvoir en Algérie par l’Armée. Message aussitôt relayé par un autre message encore plus déterminant, bien que, chose curieuse, celui-ci ne soit jamais mentionné par les historiens. Ce message interdisait de se réunir, interdisait même de commenter ces évènements.

Ils avaient oublié que nous avions déjà été consultés, que pour la première fois de notre vie nous avions voté, nous avions donné notre avis sur un sujet qui nous tenait à cœur, l’Algérie. Les jours de vote, nous n’étions plus des appelés, des gus, mais des citoyens égaux en droit et en devoir à nos supérieurs. Eux avaient oublié, mais pas nous. Et voilà qu’on nous disait : « Taisez-vous, c’est nous qui décidons ! ». Même pas le droit de dire entre nous que nous n’étions pas d’accord, c’en était trop. Nous ne pouvions tolérer qu’ils tentent de faire régner la loi militaire au dehors des casernes.

Peu importe ces consignes fascistes, et quelques tentatives timides de rappel à l’ordre, un forum s’installe sous les hangars, les gars qui travaillent dans les bureaux nous rejoignent. Nous apprenons que le commandant de notre groupe « Anjou » va s’adresser à nous par castes : officiers, sous-officiers, puis hommes de troupe. Cela nous laisse du temps pour définir une stratégie commune. Les « pailleux », allusion aux chaises empaillées, donc les gars des bureaux, nous apprennent que ce commandant a disparu, en mission secrète, depuis quelques jours, et qu’il ne fait aucun doute qu’il est au service des putschistes. A un moment nous avons envisagé de suivre à la lettre la consigne de radio Alger applicable logiquement à tout un chacun, et donc boycott du briefing de notre commandant. Mais nous voulons être sûrs de sa position, et n’avons rien à cirer des consignes de radio Alger.

Notre tour arrive… Dans un ordre et un silence impressionnants, nous nous asseyons en face de notre commandant, que l’on devine très tendu. Il attaque directement, avec un « Messieurs » étonnant de sa part, mais de bon aloi, car ce ne sont plus effectivement des soldats qui sont en face de lui, mais des hommes, des citoyens. « Messieurs je n’irais pas par quatre chemins, je suis aux ordres du général Challe… ». Sa voix s’étrangle, le premier rang s’est levé, il sort en bon ordre, puis le second, le troisième… Un sentiment indéfinissable s’empare de moi, de nous, je sens physiquement le courant qui nous traverse, force tranquille venant de bloquer un engrenage de l’insurrection. Un peu plus tard notre commandant de groupe quitte la base.

Puis comme tous les soirs et tous les samedis après-midi, la base se vide de ses militaires de carrière, il ne reste que le service minimum, militaires de semaine, de garde, ou d’astreinte. A midi à la cantine, nous apprenons que les autres groupes présents sur la base ont eu des positions similaires à la nôtre. À part la propagande de radio Alger, nous ne savons rien de ce qui se passe ailleurs et sur notre base il ne se passe apparemment rien. Le soir un forum s’installe petit à petit sur une place centrale de notre casernement. Faute d’informations, les nouvelles les plus contradictoires circulent. Et soudain celle-ci vérifiable de suite «  Les paras rentrent chez nous ». Nous nous rendons à l’entrée principale, les paras ne sont pas dedans mais dehors, à moins qu’un autre groupe les ait fait sortir. Au passage le groupe s’est enflé de gars en pyjama qui étaient déjà couchés, nous protestons, nous voulons que les paras quittent les lieux, des bruits courent même qu’ils occuperaient la tour de contrôle. Le colonel commandant de base n’est pas là, certains disent qu’il est parti car pas d’accord avec les putschistes, sa place aurait pourtant été à nos côtés voire à notre tête. C’est son second qui le remplace, il essaie de calmer la manifestation en assurant que les parachutistes sont là pour nous protéger et que de toutes façons ils restent à l’extérieur et donc il nous demande d’aller nous coucher. Personne ne croit ses sornettes, d’autant plus que des gars de la tour de contrôle viennent d’affirmer que les paras l’occupent effectivement. Comme nous ne bougeons pas, il finit par leur demander d’évacuer, la foule pacifiste s’écarte pour laisser passer des baroudeurs bardés de bandes de mitrailleuses (sans aucun doute, pour nous protéger). Nous avons gagné mais le commandant en second vient par là même de signer son acte de mauvaise foi. Alors nous scandons « position ! …position ! ». Il tergiverse, lui officier supérieur d’âge mûr n’a pas à donner sa position à des jeunes gens de notre rang. Alors, je ne l’avais pas remarqué, un adjudant chef sort de nos rangs et s’avance vers lui en déclarant « Monsieur, j’ai fait l’Indochine, je suis père de cinq enfants, et je vous demande au nom de tous les jeunes présents ici de déterminer votre position ». Alors le responsable officiel de la base monte sur une fenêtre et déclare d’une voix peu convaincante « Les gars, dans une chorale tout le monde doit chanter à l’unisson, parce que s’il y en a un qui ne chante pas comme les autres ça sonne faux. Donc puisque je suis avec vous je chante comme vous » Alors là, je n’ai pas compris, il a été applaudi, Bébert un des rares à avoir une arme parlait même de le descendre. Notre attention se porte ailleurs, des gars arrivent en courant : « Les paras, les paras, ils occupent le parking ! ». Une nouvelle fois notre chef de chœur a fait la démonstration de sa fourberie. Mais le plus important est de libérer le parking, celui-ci est verrouillé par une immense porte cadenassée, porte qui cède sous la poussée de centaines de manifestants. A vingt ans on n’a pas peur de mourir et la cause que nous défendions me semblait plus importante que la vie. Pourtant quand je me suis retrouvé au premier rang, avec des armes, le canon braqué sur nous, luisant dans la pénombre, avec comme seul interlocuteur le claquement sec des culasses actionnées par d’invisibles tireurs, je me suis esquivé par les côtés. Je n’étais pas le seul, et un long moment le groupe tournant sur lui-même n’avançait plus. Bien que nous soyons pacifistes, de temps en temps une pierre lancée en direction des envahisseurs ricochait en arrachant à l’écho des hangars un long gémissement métallique. Cette intifada aurait pu dégénérer. Puis, les paras après de longues palabres entre chefs ont fini par libérer les lieux, ils ont disparu dans la nuit. J’aurais aimé qu’on s’assure de leur départ, car rien ne prouvait qu’ils ne s’étaient pas simplement éloignés, mais après deux nuits blanches, et toutes ces émotions je tombais de sommeil. Le dimanche 23 fut interminable, rien n’était acquis. La base était immense et les paras pouvaient revenir s’infiltrer par un endroit ou un autre à tout moment, et ceci d’autant plus qu’ils venaient souvent ici préparer leurs parachutages et donc connaissaient le terrain aussi bien que nous. Avec Bébert nous trouvions que les quelques officiers présents faisaient un travail de sape, de démotivation, en affirmant que tout était fini, ou qu’on n’y pouvait rien. Il fallait relancer la machine. L’après midi, avec une sono chouravée de je ne sais où, nous appelions au rassemblement et à la vigilance. Les gars sont aux fenêtres mais personne ne bouge, j’ai su après que notre discours était mal sonorisé, inaudible. Au final nous montons dans les bâtiments rencontrer les gars de l’AAMR les plus nombreux et réputés très combatifs.

Ils m’apprennent alors qu’il faut attendre car ce soir de Gaulle fera un discours, je suis un peu déçu, c’est seulement au bout de deux jours qu’il se manifeste ! Lui aussi est donc dans le camp des attentistes ! Enfin arrive le fameux discours, sa fermeté dépasse nos espérances, il justifie pleinement à postériori nos actions.

Et c’est maintenant que je me dois de parler d’un homme droit et courageux, un authentique héros dissimulé sous un comportement tatillon. Avant, nous le surnommions « Kuku », il n’avait pas son pareil pour intervenir à cause d’un salut « oublié », un calot de travers etc. Je vous livre cette anecdote amusante et significative sur sa personnalité. De garde au poste de police, nous devions contrôler toutes les identités, sauf si nous connaissions la personne. Comme nous étions très nombreux cela devenait fastidieux autant pour le contrôleur que pour le contrôlé, un petit hochement de tête complice arrangeait les deux parties, de plus certains officiers supérieurs prenaient ombrage de leur absence de notoriété. Donc un jour que j’étais affecté à cette fonction, Kuku passe le portillon, je le salue en ajoutant un petit signe de connivence, il répond à mon salut puis fait demi tour et m’interpelle : « Caporal, pourquoi vous n’avez-vous pas contrôlé mon identité ? « Parce que je vous connais. « Ah, vous me connaissez, eh bien comment je m’appelle ? J’étais bien embêté, Kuku était le seul nom que ma mémoire ironiquement me martelait. Je bredouillais et lui s’impatientait, « Vous êtes…vous êtes le… le responsable de la photo aérienne ! « Bien, mais la prochaine fois il sera plus simple de dire que je m’appelle Kubasiak ».

Aussi quand j’ai entendu que le commandant Kubasiak était à fond avec nous et qu’il faisait un travail colossal de filtrage au poste de police, je n’en croyais pas mes oreilles. Je suis allé de ce pas le constater. Il était là, demandant à tout un chacun de se positionner clairement pour ou contre les putschistes, les favorables à ceux-ci ou simplement attentistes étaient renvoyés chez eux. La fenêtre de notre chambrée donnait sur l’entrée principale et je l’ai vu du matin au soir, apparemment sans relâche, exécuter cette harassante tâche. Comme je l’ai relaté, les officiers refusaient de nous répondre, mais  lui avec son âge et son grade le pouvait. Je ne saurais dire s’il s’est positionné avant ou après le soir du dimanche 23, mais son engagement était clair et net.

Il me faut aussi relater la trajectoire similaire du commandant de l’AAMR. Ce commandant avait la réputation d’être très dur avec les hommes de troupe. Quelques jours avant un avion s’était crashé au décollage en bout de piste puis avait pris feu. Le commandant était à son bord. Apercevant des hangars l’avion en flamme, des gars de l’AAMR ont sauté de joie, puis d’inévitables sanctions sont tombées. Les occupants de cet aéronef réduit en tas de cendres en peu de temps s’en sont tirés indemnes, ou presque, seul ce commandant a eu une jambe cassée. Lors du putsch, il était chez lui en invalidité avec une jambe dans le plâtre. (Mis à part l’avion en flamme je n’ai pas été témoin direct de ces faits mais ils m’ont été rapportés et tous les témoignages concordaient). Je suppose qu’à ce moment là Kubasiak assurait l’intérim à la tête de l’AAMR. Pour en revenir à ce commandant, lors du putsch, il est revenu avec sa jambe dans le plâtre soutenir ses gars. Pour tous les appelés de cette unité leur commandant à la jambe plâtrée devint un homme dont ils étaient fiers.

Après le discours du Général de Gaulle, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les choses ne furent pas plus faciles. Malgré le filtrage de Kubasiak, un grand nombre d’officiers jouant un double jeu s’étaient introduits dans la base, et d’autre part la chose militaire reprenait ses droits, la gouvernance n’appartenait plus au peuple. J’en donnerais pour preuve cet autre épisode. Était-ce le lundi 24, le mardi 25 ? en tout cas c’était après l’appel du chef d’État. Un après midi la sirène se met à hurler : une alerte ! Nous étions habitués aux alertes bidon et en ces cas-là chacun se planquait vite fait afin de ne pas être réquisitionné pour aller faire le guignol. L’officier de semaine devait alors se présenter rapidement avec un nombre défini d’hommes en tenue et en arme, et il prenait tous ceux qui lui tombaient sous la main. Le pauvre, il devait ratisser plusieurs fois au même endroit et bien après la sirène pour enfin avoir péniblement son nombre. Cette fois-ci, ce ne pouvait qu’être sérieux. Sans attendre les six coups qui différenciaient une vraie alerte d’une fausse, je me précipite au pied des bâtiments, un officier est là avec quelques gars plus rapides que moi, ou plus exactement logeant aux étages inférieurs. Il tient des propos surprenants « Pas d’affolements, il n’y pas le feu.. ». Le bruit court que les paras, décidément ils nous aiment beaucoup, sont revenus. Je demande à l’officier pourquoi on ne va pas à l’armurerie chercher les armes comme c’est écrit dans les consignes, il répond qu’il ne faut pas faire dans la précipitation, et qu’il attend des instructions. Pour sa tranquillité, les instructions se faisant attendre, je lui fausse compagnie et rejoins mes camarades du groupe Anjou sur le parking. Les paras sont là, ou plus exactement là-bas, à l’extérieur de l’autre côté de la piste. Nous, on attend les décisions du commandant en second, qui assure l’intérim, des camarades m’affirment que c’est un homme bien car ils l’ont vu pleurer, ne sachant pas quelle décision prendre, je rétorque que le rôle d’un chef n’est pas de pleurer mais de prendre les décisions qui s’imposent. Enfin les ordres arrivent : « Si les parachutistes viennent, je ne veux pas qu’ils touchent à mes avions. Vous allez entourer les avions en vous donnant la main, en faisant la ronde ». De mauvaise grâce, ne voulant pas me couper de mes camarades, je participe à cet acte puéril de résistance. Seul le contingent participe, les militaires d’active ne sont pas invités à protéger « ses avions». Un avion, ça occupe beaucoup de surface au sol, les rondes sont distendues, voire ouvertes ou carrément absentes pour certains appareils. Avec quelques sceptiques nous entonnons un trublion « Dansons la capucine ». À la maternelle, les comptines agaçaient déjà mes dents de lait, inutile de dire que rapidement je suis allé voir « s’il y avait du pain chez la voisine et you les petits cailloux ». Je me dirigeais vers le portail de communication entre la piste et le parking, passage obligé des parachutistes, à moins qu’ils ne brisent la clôture. Un petit attroupement se dirige vers cette entrée. Une berline noire roulant à faible allure nous dépasse, sur la banquette arrière deux têtes couronnées, d’une classique casquette à charognard (l’insigne de l’armée de l’air) et d’une casquette Bigeard ! La berline se présente au portail entr’ouvert par une sentinelle, dépose le parachutiste près d’une jeep qui l’emmène de l’autre côté de la piste rejoindre son groupe bariolé tandis que la voiture revient vers nous. L’occupant de la banquette arrière nous dit alors tranquillement qu’il a fait inspecter par l’officier parachutiste l’intérieur des installations pour lui montrer que tout était calme, qu’il n’y avait rien à craindre. Cette connivence me révulse, s’ils veulent la tranquillité, nos assiégeants doivent partir, mais comme personne ne bronche, lâchement je ravale ma salive.

De la révolte nous glissons vers le folklore. Alors que le putsch était moribond, nous apprenons que les avions vont quitter la base pour ne pas tomber aux mains des factieux. Effectivement dans un vrombissement de tonnerre, les cargos du ciel se mettent en route puis décollent un à un et se dirigent au ras des pâquerettes vers la mer, c’est parait-il pour échapper aux radars, mais que craignent-ils ? Leurs ennemis potentiels, les avions de chasse sont eux aussi basés à Blida et nous savons maintenant que toutes les autres bases aériennes et principalement Alger sont entrées en résistance dès le début du putsch ! Nous avons su garder intacts nos avions en des moments nettement plus délicats. Je trouve qu’il flotte sur les parkings déserts un parfum amer. Impression renforcée par l’information concernant la destination de nos avions. Est-ce vrai, cinquante ans après je me pose encore la question car c’est à peine croyable, ils vont soi-disant se mettre en sécurité en Espagne. L’Espagne de Franco !

Puis c’est la fin, notre colonel commandant de base qui s’était octroyé une permission exceptionnelle pour ne pas participer au putsch revient de France et reprend ses fonctions, il nous accueille par groupe dans la salle de cinéma. Après nous avoir brièvement remerciés pour notre action, il insiste longtemps sur la nécessité de reprendre la vie comme avant, puis il termine en disant « bravo nous avons gagné », tout en faisant un grotesque Vé de la victoire avec ses bras. Grotesque non pas tant à cause de sa chemise remontée en même temps que ses bras mettant à l’air son gros ventre flasque, mais grotesque de par son alignement aux côtés des vainqueurs, lui qui s’est absenté laissant le champ libre aux putschistes.

Ensuite nous avons la visite de notre ministre des armées, Messmer. Il va à Alger et tient à nous rencontrer avant, délicate attention. Nous sommes donc tous conviés à nous rendre au cinéma en plein air. L’ordre protocolaire a repris ses droits, les premiers rangs sont réservés aux officiers, puis les sous-offs et enfin le contingent dans le fond debout et sur les côtés. Comme c’est de coutume dans le milieu militaire, il y a un décalage horaire important, décalage imposé par les fuseaux hiérarchiques. Pour une fois on ne s’ennuie pas de cette attente car le spectacle commence bien avant l’arrivée du ministre. Les premiers rangs se garnissent petit à petit, parfois sous les quolibets « d’où il sort celui-là » et les sifflets, pour d’autres moins nombreux ce sont de chaleureux applaudissements. Quand arrive le commandant Kubasiak, il est longuement ovationné, trop longtemps pour le gradé à la tribune qui tente en vain du geste de la main de calmer la foule. Notre héros semble gêné de cette soudaine popularité, égal à lui-même il gagne simplement sa place, le corps naturellement droit, droit comme son sens du devoir.

Le discours du ministre est encore plus décevant que celui de notre colonel, lequel s’était adressé séparément au contingent et aux militaires de carrière. Le Ministre s’adresse à tous et salue dans l’ordre hiérarchique la conduite remarquable des hommes de la BA140. Puis très vite il insiste longtemps sur la nécessité de fonctionner comme avant. Il stigmatise violemment un appelé qui d’une fenêtre crie son désaccord, le comparant à un voyou. Mais à ceux des premiers rangs, aux complices des mitrailleuses braquées sur nous, il ne dit rien. Je trouve inacceptable que l’on nous mette tous sur le même pied, un trop grand nombre d’officiers ont joué le double jeu. D’aucuns diront qu’il est injuste de généraliser, mais qui a généralisé en premier, si ce n’est Messmer lui-même, qui nous a tous mis dans le même panier et même fait pire, en ne remontant publiquement les bretelles qu’à un pauvre appelé gueulard, mais non dangereux pour notre république.

Quelques jours après, nous prenons le bateau, c’est le retour à la vie civile, civile c’est bien le mot qui devrait convenir. Ce matin là on nous fait lever au milieu de la nuit pour prendre les cars pour Alger bien avant l’aube, l’encadrement est nerveux comme sur le qui-vive. Longue attente, toujours ce fameux décalage horaire militaire. Puis nous embarquons et au bout de quelques km les cars s’arrêtent en plein champ. On est autorisé à descendre. Nous apprenons que nous ne prendrons pas le bateau avant midi. Je réalise le pourquoi de ce départ nocturne puis de cette longue attente dans la campagne, de la nervosité de notre encadrement, ils ont peur de nous, d’un dernier baroud à la caserne ou sur le port.

Merci à l’armée pour ce cadeau, ce lever de soleil sur la Mitidja, paysage magnifique dont je me suis si souvent imprégné les nuits de garde. Puis une autre image s’imprime en filigrane sur la belle carte postale : Il est là devant moi, les bras levés en signe de soumission, le regard qui se voudrait neutre ne peut dissimuler la peur, il est là tel le gladiateur guettant le pouce de César. Je ne lui ai pourtant demandé, courtoisement, que sa carte d’identité, mais j’ai ce pouvoir. Ce pouvoir sur cet homme de l’âge de mon père me met mal à l’aise, je supporte mal ce respect craintif, offrande servile due aux seigneurs et aux saigneurs. Cette image je l’ai revue souvent, imprimée comme un souvenir d’enfance, compagne d’une vie, telles ces photos jaunies clouées par une punaise rouillée au manteau de la cheminée, elle m’accompagnera jusqu’au bout. Paradoxalement c’est en cet instant de démobilisation que je relis ce regard, que je mesure combien le poids de mon fusil à l’épaule  l’écrase. Oui c’est surtout en cet instant que le mécanicien de l’armée de l’air avec sa caisse à outils prend conscience de la guerre qu’il a faite au peuple algérien. Et c’est à cette aurore, tandis que l’alouette saluait ce nouveau jour, que je me suis promis de revenir, mais sans fusil. Promesse tenue dès 1963 puis de 1966 à 1971. C’est alors une autre page de l’histoire, une nouvelle image, étonnante à si peu de distance de la première : L’Algérien ne lève plus les bras, il me serre la main, puis repose la sienne sur son cœur.

Au début du retour à la vie civile, j’ai parfois essayé de relater ces évènements, mais apparemment cela n’intéressait personne. Puis il y a eu la loi d’amnistie, difficile à avaler, mais si c’est pour éviter une guerre civile ! Ensuite j’ai découvert que le silence n’était pas de mise pour tout le monde. Dernièrement en allant sur Google, j’ai découvert que seuls ses assassins parlaient de Kubasiak. Puis il y a eu le témoignage d’Alain Amsellem, merci à lui. Si son témoignage par personnes interposées semble parfois différent du mien, c’est tout simplement que la base étant très grande je n’ai pas tout vu, pas plus que ses interlocuteurs. Je vous recommande de lire cet autre témoignage. Un passage de ce dernier m’interpelle, je n’arrive pas à croire que le commandant Kubasiak ait été sanctionné. Comment et pourquoi le ministre des armées aurait-il cautionné une telle injustice ?

Je voudrais aussi casser de fausses informations qui ont été peut être été diffusées par les putschistes pour se disculper.

a) Le drapeau rouge flottait sur la base de Blida ! Je ne l’ai jamais vu et n’en ai jamais entendu parler, je ne nie pas qu’il y a eu peut être un drapeau rouge ou noir à une fenêtre. Mais au mât principal ou sur la tour de contrôle ça se saurait, d’ailleurs je ne pense pas que le commandant Kubasiak l’aurait toléré. Par contre j’ai vu attaché au balcon de la tour de contrôle, telle une bannière, un drap blanc sur lequel était peint une croix de Lorraine au milieu d’un grand Vé.
Pour nous qui avions vécu dans notre enfance la libération, ce symbole avait plus une signification républicaine et libératrice que gaulliste.

b) Les Appelés ne pensaient alors qu’à la quille. Pour nous il n’était pas question de partir avant que le putsch soit enterré. Pour une fois que nous nous sentions utiles. De toute façon même si nous criions comme un exutoire « La quille bordel », à quelques jours de la libération elle faisait peur à plus d’un : ménage ou relation amoureuse cassée, métier devenu caduc etc. A la BA140 les quillards étaient très nombreux, presque la moitié des effectifs dans certaines unités, le bizutage n’existait plus et les anciens étaient respectés. L’insigne quille arboré dans ces moments-là se voulait être le témoin d’une certaine expérience, d’une certaine sagesse. De toute façon, nous ne pensions pas que les putschistes auraient eu l’intention de nous garder, leur souci aurait été de se débarrasser au plus vite de ces indésirables afin de mieux formater les nouvelles recrues.
Et s’il faut faire dans la caricature voire l’insulte, aux appelés qui ne pensent pas plus loin que la quille bordel, nous pourrions opposer les militaires qui ne s’intéressaient qu’à leur PMO (Prime de Maintien de l’Ordre).

En ces moments là, une certaine Élite nous prenait pour des gamins immatures, cinquante ans après je ne me sens pas mieux armé pour affronter les problèmes de notre société d’aujourd’hui. Mais eux ont raté le sens de l’histoire, alors un peu d’humilité.

Quelques jours après ma libération, un matin, ma mère m’apprend qu’aux informations on a parlé d’un militaire de carrière de l’armée de l’air, père de cinq enfants, qui avait été assassiné dans la région de Blida. Un an plus tard c’était le tour du commandant Kubasiak. Et c’est ému, à la mémoire de ces deux Hommes que je dédie ce récit.

Trélazé le 21/04/2011

Jacques Lambour





Remarques :

Quand j’écris « nous » c’est l’impression du collectif tel que je le ressentais à l’époque, impression validée par des échanges ou non.

Quand j’écris « je » j’essaie au plus près possible de traduire mon état d’esprit de l’époque, tout en utilisant mon vocabulaire actuel. Pour ce faire il m’a fallu rechercher le pourquoi de ressentis jamais exprimés. Je l’ai particulièrement expérimenté en relatant le discours de Messmer. À l’époque j’avais été déçu par sa non condamnation des putschistes et j’avais reçu comme une gifle humiliante son altercation avec un appelé aux fenêtres, mais je n’avais pas pris dans leur globalité ces deux émotions

BREVES : CUL ET CHEMISE

Qui ne fait pas confiance à l’OMS, la respectable Organisation Mondiale  de la Santé de l’ONU ? en particulier lorsqu’elle nous a rassuré sur les faibles risques encourus par les populations vivants hors du Japon lors de la catastrophe nucléaire de Fukushima…
Mais, mais, l’OMS, en 1959, a signé un accord avec l’AIEA, l’agence internationale de l’énergie atomique. Et que dit cet accord ? que l’OMS doit consulter l’AIEA avant toute déclaration publique portant sur les problèmes de santé liés au nucléaire. Et l’article III prévoit « de prendre certaines mesures restrictives pour sauvegarder le caractère confidentiel de certains documents" .
Et de qui dépend l’AIEA ? du Conseil de Sécurité de l’ONU. Et qui compose le dit Conseil ? les 5 grands Etats aux intérêts nucléaires militaro- industriels bien connus : les Etats Unis, Grande Bretagne, France, Russie et Chine…

jeudi 19 mai 2011

LE NUMERO 96 EST PARU

Retrouvez le tout dernier Anjou Laïque dans un nouveau format avec au sommaire :

- L'accouchement sous X remis en cause
- L'Afrique
- Les élections cantonales
- Culture : Le festival premier plans, Bel Oeil
- La rubrique associations
- Les humeurs de Nono en dessin
- de nombreux autres articles de société ...

mercredi 18 mai 2011

TELECHARGEZ LE NUMERO 95

Le numéro 96 de l'Anjou Laïque venant juste de sortir, vous pouvez télécharger le N°95 gratuitement en cliquant sur le lien ce dessous.

Bonne lecture


lundi 9 mai 2011

Etes-vous étonné des évènements en Tunisie ?

La réponse est non ! La question était surtout de savoir, quand laissera – t- on faire les tunisiens ? Quand la répression ne pourra t-elle plus aller jusqu’au massacre de la population pour mâter le soulèvement ?

Depuis une dizaine d’années, le mécontentement gagnait la majorité des tunisiens. Certes il s’agit d’une majorité hétéroclite, aux préoccupations parfois diamétralement opposées, mais le rejet de Ben Ali et plus particulièrement de son entourage composé de « nouveaux riches » n’ayant aucune légitimité aux yeux de beaucoup de tunisiens, en était l’élément fédérateur !

Il ne faut pas oublier les circonstances dans lesquelles ben Ali est arrivé au pouvoir ; après Bourguiba.
En 1987, ben Ali a été adoubé, à l’extérieur par les US et la France, et à l’intérieur, par ce qui restait de l’élite tunisienne, c'est-à-dire une petite bourgeoisie composée surtout d’arabophones qu’un Islam modéré n’effrayait pas. L’autre partie, francophone et francophile avait, déjà, quitté la Tunisie, effrayée qu’elle était, par la vacation du pouvoir (Bourguiba malade…) et  par l’éventuelle arrivée des islamistes radicaux au pouvoir.
Pour plusieurs raisons, ce changement de régime a été à l’origine d’une grande espérance. Tout d’abord, l’ambiance de fin de règne et les luttes au sommet du pouvoir ont été à l’origine d’une grande incertitude et d’une anxiété sur l’avenir dans différents secteurs de la société. Par ailleurs, la fin de règne de Bourguiba a été marquée par un renforcement de la répression du régime et de son caractère arbitraire avec la multiplication des arrestations et des procès politiques. Le plus important procès a été celui de la direction et des cadres du mouvement de la tendance islamiste avec des lourdes peines qui étaient, semble-t-il, loin de satisfaire un “père de la nation” de plus en plus absent et qui aurait aimé que le tribunal prononce des peines capitales contre certains dirigeants, et notamment Rached Ghannouchi, le leader du mouvement. (1)
  


Un accueil peu enthousiaste

Toléré au début de son règne, car perçu comme le sauveur d’une Tunisie délaissée, après Bourguiba, il a engagé des réformes pour desserrer l’autoritarisme de fin de règne de celui - ci. Des réformes politiques et économiques sont engagées:
•    Une réforme de la constitution (abolition de la présidence à vie, héritée du pouvoir précédent)
•    Des « reformes économiques » totalement issues de l’orthodoxie libérale (préparer le Tunisie à remplir les conditions du libre échange et donc satisfaire les critères de Maastricht ; pour conclure des accords avec l’union européenne)





Une transition vers l’économie du savoir et les nouvelles technologies dans un pays contraint !
 
Voulant dépasser la dépendance de la Tunisie envers une croissance fondée sur les faibles coûts de main d’œuvre, il met l’accent sur une compétitivité autour de la formation et des innovations.  Ces choix seront à l’origine d’un développement rapide des nouvelles technologies et particulièrement de l’Internet en Tunisie. Les « publinets » et les cybercafés vont se multiplier et la ferveur pour les nouvelles technologies va être grandissante dans les différentes régions.
La Tunisie va entrer de plein - pied dans le Web 2.0 et va s’inscrire dans la révolution des réseaux sociaux avec le développement de Facebook, de YouTube, des blogs et autres nouvelles formes de communication et de réseautage. Il faut aussi noter une généralisation des téléphones mobiles avec la libéralisation du secteur et l’apparition de trois opérateurs. L’internet et la téléphonie mobile vont converger rapidement pour offrir de nouvelles possibilités de communication avec notamment la transmission instantanée de photos et d’images vidéo.
Progressivement, le développement des nouvelles technologies sera à l’origine de la formation d’une nouvelle communauté et d’une cyber-société qui va échapper aux mécanismes de contrôle de l’Etat et aux tracas d’une bureaucratie tatillonne. Cette société jouera un rôle important dans la cyber-dissidence et dans la révolution du 14 janvier 2011.



Le retour à l’autoritarisme dès les années 90
 
Très vite, les contraintes internationales et sa faible capacité à convaincre à l’intérieur, vont être la cause d’un raidissement du pouvoir. D’abord, parce qu’il n’a jamais obtenu l’adhésion des dépositaires de l’héritage de Bourguiba (culture, laïcité, humanisme…), ensuite il a dû se priver, très vite,  d’une partie des arabophones tentés par le discours des islamistes ; voire des intégristes. L’opposition, à ces derniers, va lui permettre de justifier, la mise en place d’une dictature féroce.
Par ailleurs, la corruption et la mauvaise gouvernance, qui se sont  développées dès le début des années 1990, ont bénéficié surtout aux cercles les plus proches du pouvoir et aux différents clans mafieux. Ces pratiques ont été à l’origine de l’accumulation de grandes fortunes dans un temps très limité et surtout d’une mainmise sur d’importants secteurs économiques, notamment dans le domaine bancaire, dans le tourisme, dans la construction immobilière entre autres. Cette accumulation de fortunes et surtout son étalement obscène dont beaucoup de tunisiens en parlaient en secret et qui ont été révélées au grand jour après la révolution.
Tous ces éléments témoignent d’un processus de blocages qui gagne tous les rouages de la société tunisienne.
En Tunisie ou ailleurs, tout se passe comme si la dictature, à l’origine, l’œuvre d’une personne, devenait, par la suite, un système  pour “concilier“ des intérêts divergents : celui des tunisiens à l’intérieur et celui des grandes puissances à l’extérieur. Ce pouvoir ne durait que par la force et par, aussi, la volonté des grandes puissances. Il suffisait d’une étincelle !


Quelles en sont, d'après vous, les causes ?

Aujourd’hui ce type de pouvoir, devenant coûteux et gênant, n’est plus nécessaire aux grandes puissances avec la mondialisation et la généralisation du modèle capitaliste.
Peut – être pour certains, il fallait que cela change en Tunisie pour que rien ne change ! (bientôt en Egypte et dans d’autres pays, aussi sans doute)
 D’autres facteurs ont pu jouer aussi, principalement :
•    Une population instruite grâce à l’héritage de Bourguiba (dont le modèle était Atatürk) : république, éducation, valeurs de modernité (moins de place pour la religion, rationalité et les sciences…) et par la langue du français, l’ancrage de la pensée, en Tunisie, proche de l’apport des Lumières.
•    Un niveau de vie moyen en hausse, mais des inégalités qui devenaient de plus en plus intolérables.
•    Rôle de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), un syndicat historique en Tunisie (mouvance PC – PS …)
•    La passion pour la liberté et l’égalité a toujours existée depuis les années 50, seule la dictature était un frein, jusque là. Il a fallu attendre les conditions objectives du changement.
•    L’explosion des moyens de communications (internet, réseaux sociaux…) et leur mondialisation sont devenus un outil de fabrication d’une opinion publique qui précède parfois une conscience collective !   


Quelle évolution prévoyez-vous ?

L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale. Forte de 500 000 adhérents, est la seule organisation de masse du pays après la déconfiture de l’ex-parti au pouvoir. Historiquement, sa base a toujours représenté un contrepoids naturel au système autoritaire établi. Aujourd’hui, elle est à la pointe du combat pour la défense des acquis de la révolution. Et pourrait jouer un rôle de rassembleur
A ce jour, l’absence d’une opposition organisée et de personnalités politiques affirmées, font que pour le moment, seules l’UGTT et la ligue des droits de l’homme sont les représentants crédibles de la mouvance moderniste et moins islamiste. Ces deux organisations continuent, en parallèle avec l’armée, de jouer désormais un rôle national pour permettre la réalisation des objectifs de la révolution. Elles soutiennent les représentants du pouvoir de transition quand  ils œuvrent dans le cadre du respect de la volonté populaire.
Après cette période d’euphorie et de liesse légitimes d’un pays qui vient de briser les chaines de l’oppression, il faudrait que celui – ci arrive à se doter de nouvelles institutions démocratiques solides pour donner au peuple tunisien une véritable  garantie qu’un retour en arrière sera impossible.
                                                                                         

                                                                                                        Hédi Djélassi   
(1) Source Réalité

vendredi 25 février 2011

ARTICLE INTEGRAL DE L'ARTICLE PARU DANS LE N°95 - POUR UNE LAICITE SANS QUALIFICATIF, MAIS OFFENSIVE


Pour une conception offensive de la laïcité

La laïcité est menacée sous des formes diverses un peu partout dans le monde, y compris en France depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, alors qu’elle est le pays où, dans le sillage 1789, elle a pris la forme la plus rigoureuse et la plus intransigeante qui devrait servir de modèle aux autres pays. Je commencerai donc par décrire un certain nombre de ces menaces, avant de vous proposer ma définition d’une laïcité offensive pour laquelle il faut avoir le courage de se battre.
Je laisse de côté les régimes musulmans qui, même quand il recourent à la notion de République (comme en Iran) sont en réalité des théocraties, n’acceptant pas la séparation du pouvoir politique ou temporel et le pouvoir spirituel ou religieux : la Loi islamique, inscrite dans la charia, couvre tous les champs de l’existence de l’homme, politique et religieuse, individuelle comme collective, et sa source est divine, à travers le Coran, l’homme n’ayant aucune légitimité à énoncer la loi ou les lois de sa vie profane. La laïcité n’y existe tout simplement pas et cela peut expliquer certains conflits violents récents avec des minorités chrétiennes, puisque toute religion, donc l’Islam, aspire par définition au monopole. Vous me direz que c’est leur affaire, sauf que c’est une religion conquérante (comme l’a été le christianisme au temps des croisades) – je vous en donnerai une preuve intellectuelle bientôt – et que, quand à travers l’immigration, les musulmans s’installent très normalement dans un pays laïque, ils ont tendance à y importer des exigences et des comportements non laïques qui sont inacceptables comme le port du voile intégral ou la demande de lieux publics pour les femmes seules (voir ce qui s’est passé à Lille pour les piscines réservées aux femmes musulmanes) ou encore le refus de certaines élèves de la mixité dans les cours de gymnastique, voire le refus par certains élèves, masculins comme féminins, de certains cours de biologie où le corps est montré. Le cas d’Israël est différent, bien que le contenu du judaïsme puisse lui aussi faire problème, en particulier son thème central d’un peuple élu : c’est un Etat qui est en principe laïque, sauf que toute une frange d’extrême droite, à la fois intégriste et fascisante, y progresse politiquement en raison du conflit avec la Palestine, et pourrait menacer à terme la laïcité.
Je me contenterai donc du christianisme en Europe et aux Etats-Unis : on assiste à un inquiétant retour de l’intégrisme dans la doctrine, de l’intolérance dans les comportements et d’une tentative d’envahir (comme dans l’Islam, ici) la sphère publique. La doctrine, d’abord. Dans son rapport à la science, il semblerait que l’Eglise catholique (ou protestante) ait fait son aggiornamento et qu’elle ait admis son autonomie. Or ce n’est pas tout à fait exact. Elle a mis un siècle pour admettre la théorie de l’évolution de Darwin (après avoir mis à l’index Teilhard de Chardin) puisque le pape Jean-Paul II en a reconnu officiellement le caractère scientifique en 1996. Mais cela a été aussitôt pour en restreindre la portée et la conséquence philosophique : elle admet que le corps de l’homme est issu de l’évolution de la nature matérielle, mais maintient que son âme ou son esprit est le résultat d’une création divine immédiate, ce qui est contraire au message complet de Darwin tel qu’il l’a exposé dans La filiation de l’homme et pour qui « l’esprit est une fonction du corps », ce qui est une affirmation résolument matérialiste. Et le pape a même ajouté, dans son langage philosophique, que de la matière à l’esprit il y avait un « saut ontologique » qu’aucune science ne saurait combler, répétant ainsi non un interdit mais un diktat à l’égard des sciences que l’Eglise a régulièrement formulé et qui contredit dans ce cas tout ce que la biologie et les sciences cognitives nous apprennent aujourd’hui sur la nature matérielle de l’esprit. Il y a donc ici un empiètement, même s’il reste mesuré, de la croyance religieuse sur la connaissance scientifique qui est contraire à la laïcité. Mais il y a un empiètement plus grave : celui de l’offensive créationniste aux Etats-Unis, venant des fondamentalistes protestants, visant sinon à empêcher (il n’y ont pas réussi) mais à dévaloriser la théorie de l’évolution en exigeant qu’elle soit enseignée comme le créationnisme dans les écoles, sur le même plan. Je précise que la même offensive est venue récemment de l’Islam turc avec la diffusion mondiale d’un luxueux Atlas de la création anti-darwinien, édité par un personnage fortuné et peu recommandable, et que en Europe, malheureusement, on a vu des gouvernements manifester publiquement de la complaisance à cet égard, comme un ministre de l’éducation nationale en Hollande, recommandant un débat critique sur le darwinisme à l’école ; et le parlement européen a subi des pressions dans ce sens récemment, venant de la hiérarchie catholique, ce qui a suscité une réaction saine d’un député socialiste français qui a levé le lièvre. C’est dans ce contexte que le gouvernement français, en l’occurrence le ministère de l’éducation nationale, a dû mener une contre-attaque et organiser un grand colloque national, auquel j’ai été invité à intervenir, pour imposer l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les lycées comme seule doctrine scientifique dans ce domaine. C’est dire le climat qui règne aujourd’hui autour de cette question où c’est la rationalité scientifique qui est en jeu ! Enfin, dernier point de doctrine plus large, mais qui touche aussi indirectement aux comportements, une récente encyclique du pape Benoît XVI, « Sauvés dans l’espérance », manifeste un étonnant et inquiétant pessimisme à l’égard de l’homme quand il est privé de religion : polémiquant avec le matérialisme marxiste et, plus largement, avec l’humanisme laïque, il dénie à la raison humaine la capacité de définir par elle-même le bien et le mal, affirmant qu’elle ne peut le faire et ne peut devenir « une raison vraiment humaine » que dans l’ouverture à la foi ! Ce propos terrible a été repris en France dans son discours aux Bernardins à destination des intellectuels français, tout cela avec la bénédiction, si je puis dire, de Sarkozy dans son discours au Latran. Celui-ci a pu en tirer cette idée scandaleuse que le curé était mieux placé que l’instituteur pour enseigner le bien et le mal parce qu’il y engageait sa vie et sa foi et, pour la première fois depuis disons un siècle, on a pu assister à la collusion du pouvoir politique lié à la Bourse et du goupillon : la religion est là pour assurer un lien social que le libéralisme détruit chaque jour et elle doit donc être encouragée publiquement. C’est une véritable régression de la laïcité de l’Etat républicain.
Passons à l’intolérance dans les comportements, plus brièvement. La tolérance ou, si l’on préfère (j’y reviendrai) le respect de la vie individuelle quand elle ne nuit pas à autrui, donc le respect de la diversité des choix de vie dans le domaine des mœurs, quelles que soient nos croyances ou notre incroyance, est au cœur de la laïcité. Or on assiste aujourd’hui à un retour en arrière désolant par rapport à ce qu’il y a pu y avoir d’avancées de la religion catholique au siècle précédent. Je laisse de côté son raidissement interne qui ne concerne que les croyants, pour ne parler que de ce qui touche à la vie de tous hors d’elle et je ne  développerai qu’un exemple : son attitude vis-à-vis de la sexualité et spécialement de l’homosexualité. L’Eglise reste ici extrêmement rigoriste, contribuant à répandre une image négative de la sexualité prise en elle-même, indépendamment de la visée procréatrice ; mais surtout, elle continue à condamner l’homosexualité d’une manière inacceptable, au nom d’une norme soit disant naturelle qui n’a aucun sens, surtout lorsqu’on a lu Freud. Elle n’est pas seule dans ce cas puisque les trois religions monothéistes la condamnent sans la moindre réserve. Or ce qui est grave, c’est que cela entraîne de par le monde des comportements homophobes parfois extrêmement violents comme la lapidation ou le meurtre (y compris aux Etats-Unis) qui trouvent dans le discours religieux une justification idéologique toute trouvée. Mais je pense aussi à la manière dont elle condamne sans nuances l’avortement, au point d’avoir condamné moralement des médecins qui l’avaient pratiqué à la suite d’un viol au Brésil et d’avoir dit que le viol est moins grave que l’avortement. On pourrait donner d’autres exemples, qui tous nous indiqueraient ce qu’il y a de malsain dans cette vision de ce qui touche à la sexualité et ils nous expliqueraient sans doute les dérives par lesquelles elle est elle-même touchée et vis-à-vis desquelles elle se montre paradoxalement tolérante.
Enfin, il y a cette fameuse séparation du politique et du religieux qui est un des socles de la démocratie, spécialement en France  avec la séparation des Eglises et de L’Etat. Or on assiste à la volonté sournoise de la remettre en cause. C’est ainsi qu’au niveau européen, il a été question de mentionner les racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution proposée en 2005. Or cela revenait :1 à transformer un fait historique en valeur ou en principe normatif dont les européens auraient dû se réclamer, rompant ainsi la neutralité de l’instance politique et, 2,  à oublier à quel point la démocratie moderne (ou la République) dans tous ses acquis positifs, non seulement dans l’ordre de la liberté politique mais celui de l’égalité sociale, s’est construite contre la religion et non grâce à elle. L’Eglise catholique a toujours pris le train du progrès historique en retard, quand elle ne pouvait faire autrement : en France elle a mis un siècle pour accepter la République après avoir été monarchiste à outrance, et encore un siècle pour accepter l’option socialiste parmi ses croyants en admettant à un synode des évêques en 1972 que l’on pouvait être socialiste au nom de sa foi, en l’occurrence au nom de l’Evangile ; et actuellement, à la suite de la chute des régimes de type soviétique, elle est en recul sur ce point et ne condamne que les excès du libéralisme, non celui-ci. En Europe il faut se souvenir qu’elle a été la complice des dictatures de Franco et de Salazar et actuellement, en Espagne, elle refuse que l’on se livre à un examen critique de son passé. Autre point important : la constitution refusée en 2005 proposait d’intégrer de plein droit les Eglises dans le débat politique parlementaire pour décider de certaines lois. C’est oublier que les chrétiens sont des citoyens qui doivent s’exprimer en tant que citoyens (avec leurs croyances privées) mais qu’il n’existe pas de citoyens chrétiens (ou juifs, ou musulmans) pouvant s’exprimer en tant que tels. Les Eglises n’ont pas à constituer des groupes de pression idéologiques susceptibles d’intervenir directement dans la définition des lois. J’ajoute, sur la question de la séparation du politique et du religieux, que le problème du port ostentatoire de signes d’appartenance religieuse dans l’espace public en fait partie.  C’est le cas du port de la burqua et un laïque ne peut qu’être opposé à  celui-ci (quelles que soient les intentions politiciennes de la loi qu’on nous propose) : à la fois au nom de ce principe de séparation et, tout autant, parce que la burqua est un signe abominable d’oppression féminine, de négation du corps et d’enfermement dans une religion mortifère qui vous coupe de la relation à autrui,  laquelle passe par l’accès au visage de l’autre.
J’ai développé longuement ce tableau sombre pour que vous compreniez mieux, par réaction, la conception offensive de la laïcité que je vais vous proposer, et qui était en filigrane dans ce qui précède. Je  rappelle d’abord la définition préalable de la laïcité qui affirme la séparation des Eglises et de l’Etat  et qui ajoute que l’Etat ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Cela ne veut pas dire, bien entendu, qu’il les interdit, mais qu’il n’en privilégie aucun et qu’il leur reconnaît à tous le droit à l’existence dès lors qu’ils respectent les lois de la République et ne constituent pas une menace pour l’ordre public ; mais cela signifie aussi le droit à l’incroyance et à sa manifestation, dans le même cadre d’indépendance intellectuelle et financière. L’Etat laïque n’est donc ni croyant ni incroyant au sens où il pourrait professer un athéisme dogmatique : disons que, philosophiquement, il est agnostique et pratique l’abstention ou la stricte neutralité, laquelle est obligatoire, mais à ce niveau seulement, vous le verrez. Cela s’oppose à la conception qu’ont cru pouvoir mettre en œuvre les pays de l’Est d’obédience soviétique, puisqu’il y existait un athéisme d’Etat. Or, même si on peut souhaiter la disparition des religions, on ne saurait aller jusque là et s’autoriser à imposer l’athéisme : comme toute position de type philosophique ou métaphysique, celui ne peut être que librement choisi, ce qui était d’ailleurs la  conception de Marx malgré son hostilité radicale aux religions. Reste que, en disant cela, on n’a pas tout dit de la laïcité et du problème qu’elle rencontre, surtout aujourd’hui. Je m’explique. La laïcité est inséparable d’un idéal d’émancipation, elle vise la liberté de conscience comme la liberté tout court, et elle est confrontée avant tout à la question des croyances religieuses, lesquelles ne sont pas n’importe quelles croyances. Issues de l’histoire, on peut en faire un bilan humain négatif tant au plan intellectuel : elles se sont opposées à tous les grands progrès scientifiques, qu’au plan pratique : on peut y voir avec Marx une expression idéologique de la « détresse réelle » de l’homme, à savoir de son malheur historique, expression qui l’a alimenté en retour – bien des exemples que j’ai indiqués précédemment l’ont montré. Et l’on pourrait y ajouter d’autres diagnostics négatifs avec Nietzsche qui voyait dans la religion une force anti-vie et Freud qui y décelait une forme de névrose collective dont il faudrait guérir les hommes. Comment alors penser la laïcité dans ce cadre ou il apparaît que les croyances religieuses peuvent être considérées comme un obstacle à l’émancipation et, disons-le, au bonheur humain, si j’ose dire ici-bas, qui est le seul « ici » dont nous soyons sûrs ? Je répondrai offensivement en trois points, qui m’opposent radicalement à une conception « molle » de  la laïcité. La mienne n’est pas « dure », d’ailleurs, mais tout simplement rigoureuse et exigeante.
La laïcité c’est d’abord le respect, et non seulement la tolérance, du pluralisme et elle suppose donc un domaine où il existe des différences irréductibles : c’est le cas du domaine religieux et, plus largement métaphysique, comme des normes éthiques de vie personnelle qui leur sont liées, alors que ce n’est pas le cas en science où seule la liberté de pensée ou de recherche est exigée. L’idée d’être laïque en science n’a pas de sens puisqu’il s’agit de parvenir à une vérité unique qui fera l’unanimité ! Ce respect du pluralisme, c’est un autre nom de la démocratie et c’est une exigence absolue, mais elle suppose que les religions acceptent elles-mêmes le pluralisme démocratique des croyances et de l’incroyance, ce qu’elles ont rarement fait dans l’histoire passée : l’Inquisition a existé comme la chasse à l’infidèle ou à l’impie ! On ne saurait donc, au nom du respect des croyance et des cultes, tolérer l’intolérance religieuse. On voit alors qu’un problème se pose immédiatement : la laïcité suppose-t-elle la neutralité vis-à-vis de la religion comme le voudrait la mode insistante d’une laïcité « plurielle » ou « positive » qui prône la complaisance à l’égard des différentes confessions au nom de la tolérance, voire qui serait toute prête à les encourager sous prétexte que, dans une société en crise, elle fournirait du « lien social » que cette société n’est pas capable de fournir. On a vu que c’était la position de Sarkozy et de beaucoup de libéraux, comme c’est, curieusement, le cas d’une partie de la gauche oublieuse de l’héritage des Lumières ; et c’est même le cas d’un R. Debray dans sa réflexion théorique sur la société et dans la proposition qu’il a faite au nom du gouvernement qu’on enseigne expressément le « fait religieux » à l’école. Or il faut être clair : il est souhaitable que l’on étudie les religions au même titre que les autres phénomènes culturels et comme cela se fait déjà en histoire et en philosophie, mais à condition que le droit à la critique des religions soit tout autant reconnu. Car, comme je l’ai suggéré dans la première partie de mon exposé, il y a toute une part de négatif dans la religion qu’il ne faut pas occulter et qu’il faut savoir dénoncer, tout simplement au nom de la raison à la fois théorique, appuyée désormais sur les sciences humaines, et pratique : opposition à la connaissance scientifique, vecteur de superstition, de violence et de fanatisme, prises de position inadmissibles dans le domaine de la sexualité ou de la condition féminine, pratiques cultuelles portant atteinte à la dignité de la femme comme la polygamie ou l’excision. Il faut éviter ici le piège du différencialisme : aucun droit à la différence culturelle ne saurait justifier une différence des droits et des devoirs par rapport à ceux que proclame la Déclaration universelle des droits de l’homme, et le respect du pluralisme idéologique s’arrête là où commence à s’appliquer cette Déclaration. Il faut donc reprendre le fil de la critique rationaliste des religions que l’on trouvait dans la philosophie des Lumières avec Hume, Rousseau ou Kant (pour ne citer que les plus grands), puis celui de ces grands penseurs que sont Feuerbach, Marx, Nietzsche et Freud, non pour refuser ou récuser les religions et leur apport positif (qui existe aussi), mais pour les soumettre à la compréhension et au contrôle de la raison qui seule peut organiser la coexistence pacifique et libre de tous les courants de pensée.
D’où une troisième définition de ce que doit être une laïcité ambitieuse : l’éducation à la raison par l’ouverture aux savoirs scientifiques et l’assimilation des grands acquis moraux de l’humanité. Seule une pareille éducation permet la formation d’un jugement libre et l’accès à l’autonomie intellectuelle, condition d’une maîtrise de sa vie individuelle ou collective. Dans ce cadre, l’ouverture aux principales conceptions religieuses ne saurait faire problème puisqu’il s’agira de les examiner d’une manière critique, dans leur statut intellectuel comme dans leur formes ou effets pratiques, à la lumière de la raison. Et s’il y a des domaines qui échappent à cette dernière, c’est encore à elle de le dire et de justifier ainsi le droit à la croyance religieuse hors de la raison. Conçue ainsi, l’option religieuse devient un choix personnel non seulement tolérable, mais parfaitement respectable puisqu’elle ne s’oppose ni à la science ni au progrès humain. L’exigence laïque de ceux qui ne désespèrent pas d’améliorer la vie ne saurait donc se satisfaire des religions telles qu’elles ont été et sont : il exige qu’elles fassent l’objet d’un débat public appuyé sur les seuls critères de la raison théorique et de l’exigence, morale et politique, de l’émancipation des hommes à l’égard de ce qui les empêche d’être eux-mêmes dans le respect des autres.
Pour finir, je résumerai ma définition de la laïcité en trois points  :
1 Respect du pluralisme idéologique et de sa manifestation pratique. 
2 Droit à la critique rationaliste des religions et même devoir de s’y consacrer. 
3 Education à la raison.

Yvon Quiniou, philosophe.
Vient de publier « L’ambition morale de la politique. Changer l’homme ? », L’Harmattan.