Les partisans de la ratification par la France de la
Charte européenne des langues régionales et minoritaires jouent sur une
ambiguïté qu'il faut lever d'entrée. Est-il souhaitable de soutenir la
connaissance et l'apprentissage des langues régionales en tant qu'elles
appartiennent à notre patrimoine culturel et qu'elles répondent à une demande
d'une partie de la nation ? La réponse est oui. Est-il souhaitable de ratifier
la Charte européenne en tant qu'elle confère des droits spécifiques à des
"groupes" de locuteurs de ces langues à l'intérieur de
"territoires" et en reconnaissant un droit à pratiquer une langue
autre que le français non seulement dans la "vie privée" mais
également dans la "vie publique" (justice, autorités administratives
et services publics) ? La réponse est non. Ces deux questions sont en effet
totalement distinctes. Et qu'on ne dise pas que le gouvernement n'a accepté de
souscrire qu'à 39 des dispositions de la Charte, voulant ignorer les autres. La
ratification une fois acquise sur ces bases, c'est à l'ensemble de la Charte
que la France aurait été réputée avoir souscrit.
Ainsi
en a justement décidé le Conseil constitutionnel le 15 juin dernier après un
avis donné dans le même sens par le Conseil d’État le 24 septembre 1996.
Réaction jacobine ? En aucune façon. Cette décision se borne à rappeler que
selon l'article 2 de la Constitution "La langue de la République est le
français" et que la République ne reconnaît pas de droits spécifiques à
des groupes, communautés ou minorités plus ou moins directement rattachés à des
pays ou des régions. Le choix de la France est de
fonder le principe d'égalité
des droits sur l'égalité des citoyens et non sur celle de communautés définies
par l'un ou l'ensemble des critères suivants : la culture, la langue, la
religion, ou l'ethnie.
Cela
ne signifie pas pour autant que ces critères doivent être ignorés dans
l'organisation de la vie en commun de l'ensemble des ressortissants de la
nation. Ainsi n'est-il pas réellement contesté qu'en matière de culture, la
diversité est richesse et qu'aucune limite ne doive être opposée au
développement de toutes les cultures concourant à la pensée universelle. En ce
qui concerne la langue, le dépérissement des plus faibles doit être combattu et
le Conseil constitutionnel a justement fait remarquer, qu'à l'exception des
dispositions anticonstitutionnelles indiquées ci-dessus, la plupart des
engagements souscrits par la France "se bornent à reconnaître des
pratiques déjà mises en oeuvre par la France". En matière religieuse, la
loi de séparation des Églises et de l'Etat de 1905 a réglé la question sur la
base du principe de laïcité. Quant à l'ethnie, c'est un principe constant,
qu'aucune discrimination ne saurait être admise sur la base de ce critère qui
confine à la discrimination raciale.
Nous
disposons donc de références juridiques et d'une tradition républicaine qui
permet dans la clarté et avec audace un développement culturel sans entrave.
Alors pourquoi ce procès trouble et délibérément passionné ? Je ne mets pas en
doute la sincérité de ceux qui, légitimement attachés à leur culture d'origine
et à la langue qui peut lui servir de support, veillent à ce que rien ne leur
porte atteinte ; en l'espèce, ce n'est pas le cas. On ne saurait admettre, en
revanche, que d'autres, poursuivant de tout autres objectifs, profitent de ce
débat pour mettre en cause des principes républicains qui fondent notre
conception de la démocratie et de la souveraineté au profit de l'idéologie
communautariste qui domine actuellement la construction de l'Union européenne
ignorant notamment, voire récusant, le service public, la laïcité et le droit
du sol comme fondements de l'égalité des citoyens.
"Plutôt
cette Europe que la République française", tel pourrait être, en résumé,
l'axe de la démarche des communautaristes qui avancent trois types de
revendications : disposer d'une autonomie de gestion des affaires propres de la
communauté ; établir par-dessus les frontières des relations organiques avec
des ressortissants de la même ethnie, concurrençant et, le cas échéant,
contestant les États de droit respectifs ; et pour cela faire de la langue le
vecteur d'un droit à la différence poussé jusqu'à la différence des droits des
communautés. C'est donc une remise en cause complète du pacte républicain et,
dans l'esprit des plus farouches, de la République elle même. C'est cela qui
est inadmissible et qui doit être dénoncé, comme l'attribution à un collège
d'enseignement en breton (Diwan) de la banlieue brestoise du nom de Roparz
Hamon, condamné à dix ans d'indignité nationale en 1945 !
Il
ne s'agit donc en rien d'une revendication de modernité mais de la résurgence
sporadique de ce que ce pays compte de plus réactionnaire et qui profite de
toutes les circonstances que lui offre une situation politique décomposée pour
enfoncer autant de coins dans l'édifice républicain. Il est navrant que des
représentants de la gauche officielle prêtent la main à de telles entreprises.
Ils oublient que, s'il est vrai que les langues régionales ont parfois été
maltraitées dans le cours d'une histoire qui a vu l'affirmation de la
République, c'est cette histoire aussi qui a, grâce au français, dégagé les
citoyens des obscurantismes et des fatalismes, fait progresser les libertés
publiques et individuelles, favorisé les échanges culturels entre les régions,
fait respecter les mêmes règles de droit sur l'ensemble du territoire national,
donné au mouvement pour la démocratie économique et sociale toute son ampleur.
Il
est facile dans ces conditions, afin de provoquer des réflexes conformistes
d'assentiment, de s'en prendre aux Jacobins, ce qui dispense de toute
argumentation sérieuse. Qu'il me soit permis de rappeler à ceux-là et à ceux
qui les suivent sans trop réfléchir, qu'avant de s'installer dans la
bibliothèque du couvent dont ils prirent le nom, rue Saint-Honoré à Paris, le
27 octobre 1789, le Club des Jacobins avait son siège à Versailles et
s'appelait ... le Club breton.
Anicet Le Pors . Président d'honneur de
l'Union des sociétés bretonnes de l'Ile de France. Auteur du Que sais-je ? :
"La citoyenneté", P.U.F., 1999.
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dans Social
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commentaires
Bonjour
RépondreSupprimerVous avez protesté contre l'article d'Anicet Le Pors sur la charte européenne des langues minoritaires. Je vous indique que que ce n'était qu'un article d'une controverse. Je vous joint le contre point. Cordialement.
Jack Proult
http://anjoulaique.blogspot.fr/2013/06/breve-relation-dune-longue-histoire-les.html