Alors
que déroule la procédure de recueil de soutiens au référendum d'initiative
parlementaire (RIP), celui-ci soulève trois défis qu'il est nécessaire de
décrypter.
Cette
procédure de recours au référendum réactive un débat historique sur la question
de la forme de la démocratie. Doit-elle être uniquement délégataire et
représentative ou participative et jusqu'à quel niveau ?
L'actuelle
constitution stipule dans son article 3 que « La souveraineté nationale
appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par voie de
référendum. ».
S'agissant
des représentants du peuple, ceux-ci sont élus au suffrage universel mais
l'article 27 de la constitution précise que « Tout mandat impératif est
nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel. ».
Autrement
dit, le parlementaire ne peut être élu sur la base d'un mandat qu'il devra
impérativement respecter sous peine de sanction, voire de révocation.
Il
est donc totalement libre de ses votes en tant que parlementaire, la délégation
de souveraineté est par conséquent sans autre contrôle que l'échéance
électorale à venir.
Le
second moyen de l'exercice de souveraineté populaire est
le référendum.
Jusqu'en
2008, seul le Président de la république pouvait en déclencher la procédure.
Depuis
cette date, une autre possibilité est ouverte comme le décrit le nouvel alinéa
de l'article 11 : « Un référendum(...) peut être organisé à
l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dizième
des électeurs inscrits sur les listes électorales (…). ».
De
nombreux juristes et politiques ont considéré que les conditions de mise en
œuvre de cette procédure nouvelle étaient si difficiles à remplir qu'il
s'agissait d'un leurre et que jamais elle ne se concrétiserait.
Les
faits leur ont donné tort puisque aujourd'hui nous en sommes à la deuxième
étape du processus entamé depuis le dépôt d'une demande formulée par 248
parlementaires et la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 2019.
Indéniablement
ce type de référendum échappe au contrôle de l'Exécutif gouvernemental et du
Président de la république, son aboutissement est lié à la volonté conjointe
d'un certain nombre de parlementaires et d'une fraction significative du corps
électoral.
Nous
entrons ainsi timidement dans le champs de la démocratie participative
permettant au peuple de légiférer directement éventuellement contre l'avis
majoritaire des parlementaires sur un sujet d'importance.
Ainsi
la légitimité populaire pourrait s'exercer face à la légitimité délégataire
dont se réclament les parlementaires de l'actuelle majorité.
Indéniablement
, si la procédure engagée va jusqu'à son terme et – ce qui n'est pas garanti
comme on le verra plus loin – et que la proposition de refus de la
privatisation est majoritairement adoptée, le paysage politique s'en trouvera
transformé car la majorité politique actuelle sera désavouée sur un axe
essentiel de sa politique.
Celle-ci
ne s'y trompe pas comme le montre la déclaration inquiète du Premier ministre
le 10 mai 2019 assurant que le RIP « pose une vraie question sur
la place qu'on accorde à la démocratie représentative car après plus d'une
centaine d'heures de débats en commissions et en séance à l'Assemblée nationale
et au Sénat,après qu'une majorité des représentants du peuple se sont exprimés
et ont adopté le texte, une minorité est capable de bloquer pendant au moins
neuf mois et peut-être plus, l'application d'un texte voté.Que la démocratie
parlementaire agisse de façon aussi déterminée contre l'expression de la
représentation parlementaire, me laisse songeur. ».
Visiblement
pour lui, une décision prise par les seuls parlementaires est plus légitime
qu'une même décision prise par l'ensemble du corps électoral.
Le
défi économique
Un
référendum peut porter sur un vaste ensemble de sujets d'importance dont la
liste figure à l'article 11 de la constitution : « (…) tout projet
de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes
relatives à la politique économique,sociale ou environnementale de la nations
et aux services publics qui y concourent, ou tendant à la ratification d'un
traité(...) ».
On le
voit, le projet de privatisation d'ADP (Aéroports de Paris) est bien une
question qui peut faire l'objet d'un référendum.
Mais
que représente la société ADP ?
Elle
contrôle tous les aéroports civils de l'Ile de France dont Roissy, Orly, Le
Bourget et l'héliport d'Issy-les-Moulineaux. Elle est propriétaire de 8600
hectares de terrains.
Si
l'on additionne les trafics passagers d'Orly et de Roissy, ADP est la première
société aéroportuaire du monde, son chiffre d'affaires a progressé de 23,8% en
2018 pour un montant de 4,4 milliards, elle verse 100 millions de dividendes
par an à l'Etat.
Dans
une tribune publiée dans Le Monde fin janvier, le juriste Paul Cassia
notait à propos d'ADP : Cette société gère directement une
frontière vitale placée au cœur de notre capitale économique et
politique ; 80% du trafic aérien de l'étranger vers la France s'effectue
en recourant à ses services. Force est donc de constater que l'exploitation de
la société ADP a un caractère de service public exercé à l'échelon
national. ».
Pour
nombre d'économistes, le projet de privatisation tel que prévu par le
gouvernement est hors norme en ce qui concerne les mécanismes imaginés, les
schémas juridiques, la période sur laquelle elle doit s'étendre et comment
l'Etat envisage de récupérer son bien à la fin.
Le
projet est présenté non comme une privatisation mais comme une concession d'une
durée de 70 ans.
La
répartition actuelle du capital est la suivante : Etat 50,6%,Royal
Schiphol Group 8%, Vinci 8%, individuels 4,3%, institutionnels 22,3%, Crédit
Agricole 5,1%, salariés 1,7% .
Considérant
que les actionnaires privés perdaient une partie de la valeur de leurs
investissements du fait de la durée de vie de la future société à 70 ans,
l'Etat veut indemniser ceux-ci entre 500 millions et 1 milliard d'euros qui
viendraient en déduction de la valeur globale de 8 milliards. Ainsi le
gouvernement s'apprête à payer...pour privatiser,ce qui est sans
précédent ! D'autant que les calculs pour évaluer les « pertes »
des actionnaires minoritaires sont obscurs car portant sur une durée de 70 ans.
Mais
ce n'est pas tout.
Normalement
à la fin de la concession, le concessionnaire doit restituer l'ensemble des
actifs et des biens en l'état à la puissance concédante – Etat ou collectivités
locales – gratuitement. Ici l'Etat a prévu de racheter les actifs au terme de
la concession.
Le
brouillard est tout aussi épais quant aux conditions du choix du
concessionnaire car le gouvernement a rejeté la proposition de procéder à un
appel d'offres public et à publier le cahier des charges.
Les
candidats à cette privatisation de fait sont nombreux. On cite Vinci, mais
aussi des banques d'affaires comme Goldman Sachs. Etonnant que tant de
financiers s'intéressent à une affaire que le gouvernement juge si peu
rentable....
Un
défi institutionnel
A
supposer que les 4,7 millions de soutiens requis soient rassemblés, une ultime
condition est à remplir comme le précise l'article 11 déjà cité : Si la
proposition de loi n'a pas été examiné par les deux assemblées dans un délai
fixé par la loi organique, le Président de la République le soumet au
référendum. ».
La
loi organique du 6 décembre 2013 fixe ce délai à 6 mois mais ne précise pas
quelle forme doit prendre « l'examen » bien qu'un tel
« examen » constaté met fin à la procédure, ce qui signifie pas de
référendum.
Cette
question a été traitée par le Conseil constitutionnel en décembre 2014 se
prononçant sur des modifications du règlement de l'Assemblée nationale.
Le
Conseil constitutionnel a jugé la rédaction nouvelle de l'article 124-4
contraire à la Constitution et commente ainsi sa décision : « Dès
lors, en supprimant toute faculté de déposer, de discuter et d'adopter une
motion de renvoi en commission, le nouvel article 124-4 du règlement produirait
un effet considérable : toute inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée
nationale d'une proposition de loi ayant recueilli le soutien d'un dixième des
électeurs inscrits sur les listes électorales conduirait inéluctablement à
l'examen du texte au sens du cinquième alinéa de l'article 11 de la
Constitution. L'Assemblée nationale perdrait, ce faisant, la faculté qu'elle
avait, à la majorité de ses membres, d'obtenir l'organisation du référendum en
refusant d'examiner le texte. ».
On
voit qu'une motion de renvoi en commission vaut clairement refus d'examen....à
condition que cette motion recueille une majorité de voix.
Sans
entrer dans les détails, on doit aussi signaler que le règlement intérieur du
Sénat n'est pas conforme à la décision du Conseil constitutionnel s'agissant de
la motion de renvoi, une mise à jour s'impose d'urgence....
A
l'évidence, le nombre de soutiens recueillis pour l'initiative référendaire,
au-delà du seuil légal, jouera un rôle considérable face aux arguties
juridiques gouvernementales et à l'attitude des parlementaires notamment des
sénateurs, la date butoir se situant en pleine campagne électorale des
municipales.
Jean-Louis Gregoire
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