Article paru dans MEDIAPART
Henri Pena Ruiz
ancien membre de la
commission Stasi sur l'application du principe de laïcité
Dernier
ouvrage paru : Dictionnaire amoureux
de la laïcité (Editions Plon)
Prix
de l’initiative laïque 2014 et Prix national de la laïcité 2014.
La laïcité va mal. Ancien membre de la
Commission Stasi sur l’application du principe de laïcité dans la République,
je ne peux garder le silence. Naguère, la droite au pouvoir la malmenait par la
bouche de Monsieur Sarkozy. Aujourd’hui certains élus de gauche ne la traitent
pas mieux. Tout se passe comme si les vrais ennemis de la laïcité et ses faux
amis semblaient d’accord pour l’encenser en principe et la violer en pratique.
Halte à la duplicité. Inventaire.
D’abord un vocabulaire polémique
brouille les choses à loisir. Il est trop facile, par exemple, d’inventer une
opposition artificielle entre la laïcité dite "ouverte" et la laïcité
dite "de combat". La première expression est usuelle chez les
adversaires de la laïcité qui insinuent ainsi que la laïcité tout court serait
fermée. Une calomnie travestie en signe
d’ouverture. La seconde est
fréquente chez ceux qui par électoralisme refusent de défendre la laïcité et en édulcorent le sens. Une trahison déguisée en réalisme. Un tel vocabulaire est d'ailleurs absurde. Parle-t-on de la « liberté ouverte » ou des « droits humains de combat » ? Bref, on adjective la laïcité soit parce qu’on en rejette les exigences soit parce qu’on manque de courage politique pour les faire valoir.
fréquente chez ceux qui par électoralisme refusent de défendre la laïcité et en édulcorent le sens. Une trahison déguisée en réalisme. Un tel vocabulaire est d'ailleurs absurde. Parle-t-on de la « liberté ouverte » ou des « droits humains de combat » ? Bref, on adjective la laïcité soit parce qu’on en rejette les exigences soit parce qu’on manque de courage politique pour les faire valoir.
Les
vrais ennemis de la laïcité rêvent de rétablir les privilèges publics
des religions: c'est ce qu'ils appellent "laïcité ouverte". Ils
parlent de "liberté religieuse" plus que de liberté de conscience. Faudra-t-il
parler aussi de "liberté athée"? Ses faux amis répugnent à la
défendre par peur de perdre des voix et inventent l'expression polémique
"laïcité de combat" pour qualifier une telle défense. C’est ce qui
ouvre tout grand un chemin à une contrefaçon de laïcité par la droite extrême.
Celle-ci feint de défendre la laïcité alors qu’elle la caricature en la
tournant contre un groupe particulier de citoyennes et de citoyens. Ce qui est
alors en jeu, c’est une conception
discriminatoire travestie en laïcité. Tout le contraire de celle-ci.
Un premier exemple d’attaque contre la
laïcité par la droite puis de refus de la défendre par la gauche au pouvoir.
Comme on sait la loi Carle votée sous la présidence de Monsieur Sarkozy met à
la charge des communes la scolarisation d’enfants dans des écoles privées de
communes voisines. Quand les laïques contestent cette loi et en demandent
l’abrogation, les vrais ennemis et les faux amis de la laïcité, tout uniment,
les accusent de vouloir rallumer la guerre scolaire ! Une accusation
ridicule qui dissimule mal la volonté de faire entériner une violation de la
laïcité. Aujourd’hui, que fait le gouvernement dit socialiste contre cet
héritage de l’ère antérieure qui renforce les privilèges des écoles privées
religieuses, affranchies de surcroît de l’obligation d’appliquer la réforme des
rythmes scolaires ? Rien. C’est triste. Pire. Monsieur Peillon, précédent
ministre de l’Education Nationale, a rédigé une charte de la laïcité. Mais il a
étendu le financement public des activités périscolaires aux écoles privées,
alors que la Loi Debré ne le prévoyait que pour les disciplines d'enseignement.
Comprenne qui pourra.
A Paris, tout en s’affirmant fidèle à
la laïcité, la mairie continue à subventionner des crèches confessionnelles et
des fêtes religieuses comme celle qui a été organisée l’été dernier pour Ramadan.
Ainsi des contribuables athées ou agnostiques sont obligés de subventionner à
hauteur de 70 000 euros une fête religieuse. A quand une grande fête de
l’humanisme athée financée sur fonds publics, à Paris et ailleurs ?
Invoquer la culture, en l'occurrence, est peu rigoureux et néfaste. Confondre la
culture arabe et le culte musulman c'est offrir un cadeau inespéré aux extrêmistes
religieux qui persécutent les arabes athées, accusés de "trahir leur
culture". Dans le même esprit, Franco proclamait: "En Espagne, on est catholique ou on n'est
rien". Et le cardinal Rauco Varela dit que l'avortement n'est pas dans
la "culture espagnole". D'où la tentative de Monsieur Rajoy, aujourd'hui
avortée, de supprimer un droit essentiel des femmes. La culture a bon dos!
C'est la commission Machelon, mis en place patrr Nicolas Sarkozy, qui a recommandé le
brouillage de la distinction entre culte et culture afin de contourner la loi du
9 Décembre 1905 qui interdit de financer les cultes. Nombre d'élus de gauche
comme de droite appliquent la recette tout en se disant laïques, bien sûr.
Dans le Limousin on a financé sur
fonds publics des processions religieuses catholiques, en présentant ces dernières comme des « manifestations
culturelles ». Heureusement, dans ce dernier cas, les tribunaux ont
condamné ce subterfuge. Contre l’évidence trop d'élus brouillent les choses. L’électoralisme
ainsi mis en œuvre veut faire prendre des vessies pour des lanternes. Je rêve
d’une sixième république où les professions de foi des élus seraient le cas
échéant opposables à leur pratique effective. La laïcité reprendrait quelques couleurs, et la justice sociale
aussi. La vie politique cesserait d'inspirer le dégoût aux citoyens qui pensent
que les principes sont faits pour être appliqués.
On va m'objecter le pragmatisme,
invocation sempiternelle des élus qui trahissent. Mais concrètement le devoir
des élus n’est pas d’encourager par des fonds publics les manifestations
communautaristes. Il est de rappeler à tous leurs administrés que leur humanité
ne se réduit pas à leur appartenance à
une religion, qu'ils sont hommes et citoyens avant d'être musulmans ou
catholiques. Des citoyens porteurs de volonté générale, c’est-à-dire d’une
faculté de vouloir ce qui vaut pour tous et non ce qui ne vaut que pour eux
seuls. Mesdames et messieurs les élus, mettez votre pratique en accord avec les
principes que vous prétendez défendre ! Pour lutter efficacement contre
les communautarismes religieux et leurs dangereuses dérives, cessez d'encourager
les revendications particularistes. Les élus politiques, porteurs des principes
et des lois de la République, sont comme le disait Victor Hugo les « instituteurs du peuple ».
Une politique républicaine doit viser
le seul intérêt général, commun à tous. Dans
cet esprit, il faut consacrer l’argent public aux seuls services d’intérêt
général. Et montrer ainsi que la République ne se contente pas de proclamer
l’universalisme, mais lui donne concrètement chair et vie. L’instruction et la culture, l’accès aux soins, le logement
social, sont d’intérêt commun aux divers croyants et aux athées. Ils sont de portée universelle. Pas la
religion, ni d’ailleurs l’athéisme, options spirituelles particulières, à
traiter comme telles si le mot république a encore un sens. Le deuxième article
de la Loi du 9 Décembre 1905 est clair: "La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte".
En Alsace Moselle, des maires se
déclarent laïques tout en défendant le concordat. Pourtant celui-ci met à la
charge des contribuables de toute la République les salaires des prêtres, des
rabbins et des pasteurs des départements concordataires. Bref il contraint des
athées et des agnostiques à financer la religion. Un comble en temps de crise
et de vaches maigres pour les services publics ! Quelle est la motivation
des élus concordataires, sinon un calcul électoral qui les conduit à chouchouter
les croyants, donc à les traiter mieux que les athées. Au passage ils
accréditent l’idée fausse selon laquelle la laïcité rejette la religion alors
qu’elle ne rejette que ses privilèges publics. Et ils veulent faire croire que
les trois composantes du droit local (concordat napoléonien, Loi Falloux, droit
social allemand) sont inséparables, ce qui est faux. On peut abroger le
concordat et les dispositions discriminatoires de la Loi Falloux (la religion
inscrite dans l’enseignement public) sans toucher au droit social local.
Dans un discours émouvant sur les
morts de la première guerre mondiale, le président de la République vient de
souligner la dimension symbolique d’un mémorial qui ne recense plus les morts
par nationalités mais les réunit au contraire dans un même hommage. On aurait
aimé qu’il réhabilite au passage les fusillés pour l’exemple, ces hommes qui ne
manquaient pas de courage mais clamaient leur révolte devant des massacres
aujourd’hui déplorés par toute l’Europe. On aurait voulu aussi que l’hommage ne
cite pas seulement les « soldats de
toutes religions » mais également les soldats de conviction humaniste
athée, donc « les soldats de toutes
convictions ». Un "détail"? Non. Une omission discriminatoire.
« La République a besoin de
croyants »…C’est ce qu’osait dire dans l’exercice de ses fonctions
Nicolas Sarkozy, établissant ainsi une hiérarchie entre croyants et athées. Notre
président actuel lui emboite-t-il le pas en ne mentionnant que les soldats
croyants ? Est-il si difficile pour le Président d’une république laïque
de ne pas privilégier un type d’option spirituelle dans un moment aussi
solennel ? Henri Barbusse, auteur d’un grand livre sur la guerre de 1914, Le Feu, aurait sans doute condamné cette
discrimination implicite. De même pour Apollinaire, grièvement blessé sur le
front et peu porté sur la religion.
Quant au récent voyage officiel à Rome
du Premier Ministre de la République, aux frais de l’Etat, il enfreint aussi la
laïcité. Lorsque François Fillon s'était rendu à Rome en 2011 pour y assister à
la béatification de Jean Paul II, le Parti Socialiste avait à juste protesté,
au nom de la laïcité. Quand trois ans trois ans plus tard Manuel Valls s'y rend
pour sa canonisation, le PS approuve. Comprenne qui pourra! On marche au pas
sur les principes. On ne
peut justifier la chose au nom des relations entre Etats. Manuel Valls n’a rien
négocié à Rome. Il ne s’y trouvait pas pour évoquer des problèmes
diplomatiques. Des cérémonies de canonisation n’ont de sens que religieux. Entendons-nous.
Si Manuel Valls le voulait, il avait tout à fait le droit d’assister à un tel
événement, mais à titre privé et sur ces deniers propres. Son admiration pour
Clémenceau aurait pu d’ailleurs lui montrer la voie. En 1918, l’archevêque de
Paris annonce un Te Deum à Notre-Dame de Paris en mémoire des morts de la
guerre. Clémenceau, alors Président du Conseil, fait adopter par les ministres
le refus d’y assister à titre officiel. Clémenceau s’en explique: séparation
laïque oblige. Une décision exemplaire, car respectueuse de tous les citoyens
et non des seuls croyants.
Tout se passe désormais comme si les athées
ou les agnostiques, qui quant à eux ne demandent nullement à la République de
satisfaire des revendications communautaristes, étaient tenus pour quantité
négligeable. Leur discrétion par respect de la laïcité et de l’universalité de
la chose publique les dessert alors qu’elle est à leur honneur. Un autre
exemple. Dans une déclaration à l'Observatoire de la laïcité Madame Vallaud-Belkacem, Ministre
de l’Education nationale, vient de permettre aux accompagnantes scolaires, au
passage limités aux seules « mamans », de porter un signe religieux
dans l’exercice de leur fonction. La laïcité implique l'égalité des droits des
divers croyants et des athées. En toute logique, un(e) accompagnant(e) athée
aura donc également le droit de porter un tee-shirt stipulant « Dieu n’existe pas ».Si on ne lui
accorde pas ce droit, en soutenant que ce serait du prosélytisme, on fait deux
poids deux mesures. Etrange interprétation de la laïcité, réduite à un égal
traitement des seules religions et non de toutes les convictions. Pourquoi les
athées n'auraient-ils pas le droit de mettre en avant leur choix spirituel,
comme des croyants le font? Au nom de quoi une telle discrimination ? Par
ailleurs Madame Vallaud-Belkacem, réitère l'erreur qu'avait du corriger la
commission Stasi en proposant la Loi de 2004. En refusant de définir une même
règle pour tous les établissements scolaires, conformément à l'indivisibilité
de la République, elle dessaisit la laïcité de son statut de principe
constitutionnel dans la hiérarchie des normes, et l'abandonne à la diversité
des rapports de force locaux. Ce n'est pas la meilleure façon de la défendre.
Approfondissons cet exemple. Une
conduite à prétention civique ou éthique doit pouvoir s’universaliser pour être
recevable. Concrètement, une mère de famille musulmane ou catholique
accepterait-elle que son enfant soit accompagné en voyage scolaire par un athée
portant un tee-shirt mentionnant son choix spirituel athée ? Non sans
doute. Un enfant de famille athée ne peut davantage être accompagné par
une mère voilée ou un père coiffé d’une kipa. Car enfin un voyage scolaire
n’est pas une sortie touristique. Le régime des libertés qui prévaut dans la
société civile ne saurait donc être étendu à l’école, ni aux activités
scolaires, qui concernent des élèves mineurs soumis à l’instruction
obligatoire. Un voyage scolaire, c’est encore l’école, et d’ailleurs en cas
d’accident c’est l’Education Nationale qui assure. L’obligation de réserve des
enseignants, des conseillers d’éducation, doit donc valoir également pour les
personnes qui sont volontaires pour accompagner des voyages scolaires. Parler
de « mamans » (pourquoi pas de « papas » ?) c’est
mettre en avant le rapport familial parent-enfant. Mais celui-ci ne vaut comme
tel que pour l’enfant de l’accompagnant. Pour tous les autres, enfants-élèves,
il ne saurait valoir, et la "maman" ou le "papa" n'est
perçu(e) que comme accompagnant scolaire. C’est donc le rapport accompagnants
scolaires-élèves qui est en jeu, et non le rapport enfant-maman. Recentrons nous
sur la fonction remplie et le régime de droit qu’elle requiert au lieu de
brouiller les pistes par une présentation compassionnelle. Cette neutralité n'a
rien d'arbitraire: elle promeut le minimum de distance à soi qui conduit à
respecter le droit pour d'autres personnes d'avoir des convictions différentes.
La laïcité se définit par une exigence
et pas seulement par un droit. C'est pourquoi elle est un levier d'émancipation.
Tout adulte encadrant une activité scolaire doit comprendre que l'élève n'est plus
seulement l'enfant. Une deuxième vie s'ouvre à lui, qui ne nie pas la première
mais la dépasse. Un élève, c'est un être qui s'élève. Mettre en avant ce qui
unit plutôt que ce qui divise est alors esssentiel. Toute personne volontaire
pour accompagner une activité scolaire peut le comprendre sans avoir à se
sentir blessée ou niée. La concorde est plus sûrement assurée par une telle
retenue que par une manifestation spontanée de la religion ou de l'athéisme,
surtout en présence de jeunes gens influençables. Et qu’on ne dise pas qu’en
cas d'exigence de neutralité vestimentaire une seule religion serait
stigmatisée, puisque la déontologie laïque proscrirait aussi bien la croix
charismatique, la kipa, le voile, et le fameux tee-shirt de l’athée.
Finissons par l’Europe. Le pape est
venu haranguer le parlement de Strasbourg. Pourquoi un tel privilège
conçu par Martin Schulz ? A quand une invitation du même type à un
représentant de la Franc-Maçonnerie ou de la Libre-Pensée ? En fait, il y
a erreur de destination. Un parlement démocratique n'est pas un lieu de prêche,
ni de propagande athée. Quant aux racines chrétiennes de l’Europe elles
relèvent d'une conception très partisane de
l'histoire. Que fait-on des racines que sont l’humanisme antique, la
médiation arabe qui en a sauvé l'héritage, le rationalisme des Lumières, la
pensée sociale du dix-neuvième siècle, les droits humains conquis souvent
contre l’Eglise ou malgré elle? Et qui les représente ?Le souci de
l’humain, au demeurant, est venu bien tardivement à l’Eglise institutionnelle,
qui n’a pas répugné à user des deux glaives chers à Bernard de Clairvaux,
canonisé par l'Eglise, ni à lancer l’Inquisition contre les hérétiques
prétendus, les juifs ou les musulmans mal convertis, les athées ou les
francs-maçons. Cette Europe-là, conjugant les bûchers, l'index des livres
interdits, l'antijudaïsme chrétien dégénéré en antisémitisme sans que l'Eglise
proteste, ne peut guère donner la leçon.
Après l’Europe néolibérale qui
désespère les peuples, l’Europe vaticane se pose en supplément d’âme du
néolibéralisme fatalisé. Au prix de la remise en cause de l’égalité de droits
entre croyants et athées. Et du remplacement de la solidarité par la charité.
Par ailleurs celles et ceux qui subissent de plein fouet la privatisation des
services publics ainsi que la destruction de la fiscalité redistributive et du
droit du travail, exigées par une telle Europe, ne trouveront guère de
consolation dans ce cléricalisme d’un nouveau genre. Une fois encore, ce sont
les plus démunis, les laissés pour compte, que l’on mystifie par de bonnes
paroles qui laissent en l’état l’horreur économique. Pour eux, le supplément d’âme d’un monde sans âme est
dérisoire. Beaucoup de croyants, comme naguère la philosophe Simone Weil, ont
refusé que la religion serve de simple compensation et en ont appelé à une
véritable politique sociale, irréductible à la charité.
Qui ne voit d'ailleurs que le nouveau
couplage de l’ultralibéralisme et de la religion ressemble à s’y méprendre à
l’idéologie propre au capitalisme sauvage du dix-neuvième siècle ?
Exploitation sans frein toute la semaine, et aumône le dimanche. Ainsi l'Europe
est en train de promouvoir de nouveaux privilèges pour deux religions. Celle du
du Dieu-Marché et celle du catholicisme. Les européens qui ne sont fidèles ni
de l'une ni de l'autre apprécieront.
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