Les lecteurs de l’Anjou Laïque comprendront qu’il m’est
impossible d’être impartiale tant ce papa passionné et non moins passionnant
est aimé de sa fille.
Roger est né, en juillet 1925, dans une famille profondément
citoyenne, Marcel le père, professeur technique à Chevrollier, Marcel le frère
aîné, enseignant syndicaliste sont bien connus du milieu angevin pour leur
militantisme et leur charisme.
Les grandes tablées familiales toujours animées entre les
encartés SFIO, PC ; les anarchistes ; les syndicalistes FO, CGT… où
un sujet rassembleur, la défense de l’Ecole Publique, était à l’unisson de
leurs pensées.
Combat tout d’abord au sein de la FCPE, de l’amicale laïque
des Justices notamment dans la lutte ardue pour obtenir une cantine digne de ce
nom, auprès du maire de l’époque Jean Turc. Je n’oublie pas son rôle
d’animateur aux fêtes de l’école et de père noël, chaque fin d’année, où il
m’était interdit de le reconnaître ainsi que son soutien indéfectible au monde
enseignant.
Cette défense de l’école pour tous, sans dogme, se
concrétisait par son implication très active, pendant plus de 30 ans, au sein
de l’Association Amicale des Anciens Elèves du Lycée d’Etat Chevrollier,
héritant du flambeau de la présidence en 1975 succédant à des camarades comme
Félix Landreau, René Rouault pour le transmettre en 1987 à un jeune
chevrol’zard Michel Métivier. Une présidence très active empreinte de grands
événements comme la parution du livre de 400 pages « Le Lycée Chevrollier,
ses anciens élèves - Histoire et histoires », la célébration du centenaire
de l’Association en 1976 avec « Graphiquement votre »,
« Exposition Espace », la semaine musicale avec la participation du
violoncelliste Marcel Bardon et du Trio de France, la semaine cinématographique
avec les métamorphoses de Peter Foldès et les interludes de Jean Pierre Chainon
réalisés pour Antenne 2. Si l’un des créateurs transformait un soleil en arbre
ou un cercle en femme, l’autre savait donner à la lettre A et au chiffre 2
toute une vie et beaucoup de sentiments. Ce mini festival de films d’animation
signera les prémices d’un travail avec Claude-Eric Poiroux qui deviendra plus
tard l’incontournable « Premiers plans ». Les évènements plus
classiques, moins grandioses, tels le bulletin annuel, la traditionnelle Saint
Eloi, les rallyes, les expositions, les voyages et aussi les commémorations
occupaient beaucoup de son temps. Il affirmait que si, son Ecole Chevrollier,
(primaire à l’époque comme secondaire et prépa grandes écoles) a connu deux
guerres et que la dernière, si elle a écrasé ses murs, n’a pu tuer ni sa
vitalité, ni son esprit. Mon papa était donc heureux d’être un des modestes
passeurs de cette réalité vivante et capable, au nom des idées à défendre, de
soulever des montagnes.
De Chevrollier au siège de la Fédération des Œuvres Laïques
il n’y avait qu’un pas. La FOL a effectivement souvent soutenu l’Association
Chevrol’zarde dans ses « folies ».
C’est en 1984, qu’il reçu le grade d’officier des Palmes
Académiques, dans la grande salle de la FOL avenue Marie Talet, dont il était
fier puisqu’il, avec beaucoup d’autres laïques du Maine et Loire, a suivi les
travaux et approuvé la construction de ce bel outil de travail. Une fois de
plus la « Laïcité » était endettée, mais elle avait pignon sur rue.
Au conseil d’administration, aux équipes de salariés, de bénévoles, de défendre
ses idées, travail difficile de reconnaissance dans notre terre angevine où
certains catholiques oublient la tolérance. C’est dans les colonnes du journal
« l’Anjou Laïque » organe vital, qu’avec bien d’autres… n’est ce pas
Jack, il divulguera, tentera de vulgariser l’esprit laïque, notre philosophie
de vie inculquée par les créateurs, Yvonne et Henri Dufour. Il faut dire que
tous deux, rédacteurs de l’Anjou Laïque, furent les premiers clients de
l’imprimerie.
Oui j’ai oublié de vous préciser que mon papa et ma maman
Hélène dirigeaient l’imprimerie Paquereau située dans le quartier des Justices.
Il est vrai que, au milieu de cette multitude d’activités bénévoles, l’imprimerie
semble secondaire et pourtant déjà à l’époque une petite, très petite PME d’une
dizaine de salariés n’était pas facile à gérer. Mon papa que certains
appelaient « Maître » au regard de poète romantique, à la voix grave,
à la fois autoritaire et joviale était un patron créateur. L’imprimerie le
passionne. L’encre devient drogue, le papier confidence. Il y trouve le moyen
de s’exprimer, de s’affirmer. Cela lui permettra d’accepter l’échec de son rêve
de jeunesse : sa montée à Paris afin de se frotter aux planches pendant trois
ans, l’interprétation scénique, lui qui en a la prestance, l’audace,
l’enthousiasme… Le talent ne pourra, faute de savoir chanter, se concrétiser.
Et même si il y a eu échec il témoignera avec fougue que la tentative fut
exaltante et enrichissante. Mais le destin voulut qu’il soit né comédien et
devint imprimeur avec d’ailleurs la même ténacité et ambition. La frontière
restera infime entre ses deux projets de vie car si on naît imprimeur, on
devient artiste. Sa vocation de créateur ne s’est jamais éteinte.
Imprimeur à Angers, là encore, mon papa ne cherchait pas à
se faciliter les choses commercialement en étant Président de la FOL du Maine
et Loire et malgré, certaines divergences politiques, premier sympathisant de
son grand frère Marcel Paquereau, responsable syndical et militant communiste.
Je peux témoigner qu’il était, avec ma maman, très fier du parcours de son
frère et aussi certain d’être dans le vrai en promouvant le chemin de la
liberté, de l’égalité et de la fraternité en militant à la FOL, décidant bien
que le côté mercantile ne prendrait pas le dessus sur les idées à défendre.
Mon papa, comme son frère, a grandi avec l’esprit
syndicaliste, la défense des acquis sociaux, la lutte contre le non partage des
pouvoirs. Ouvrier imprimeur au « Courrier de l’Ouest » il est rapidement, au nom de l’égalité, entré
en lutte pour obtenir la parité de salaire entre les imprimeurs de Presse et
les imprimeurs de Labeur.
Malheureusement, à la mode avant l’heure, de retour d’un voyage en Algerie,
conférencier, s’intégrant au rapprochement de la jeunesse franco-arabe, chargé
d’implanter des auberges de la jeunesse, il fut licencié, ne pouvant retrouver
sa place d’ouvrier typographe, marqué à l’encre rouge, l’encre de ses
idées !
Bientôt chargé de famille, il chercha vainement du travail,
juste un court passage dans une imprimerie en difficulté, seul avec un patron,
qui n’a pas tardé à faire faillite et qui avait empoché à l’avance le règlement
du journal « L’Anjou Laïque » sans l’imprimer. Après des recherches
infructueuses, mon papa avec l’accord de maman, décide de s’installer à son
compte, de devenir patron. Son premier travail fut donc d’imprimer gratuitement
l’Anjou Laïque et de gagner l’amitié du couple Dufour, ce qui n’avait pas de prix !
Cinquante-quatre ans plus tard, fidélité, attachement,
constance font que l’Anjou Laïque est toujours imprimé sur les presses de
l’imprimerie Paquereau ; aussi au moment de notre retraite, Patrick et à
moi, avons, avec plaisir, offert le dernier journal imprimé sous notre
responsabilité. Aujourd’hui, je n’ai que la curiosité de le lire sans penser
aux corrections typographiques, ni à l’heure de sa livraison !!!
Vous comprendrez combien ce journal fait partie de notre
famille et grâce à lui nous sommes devenus amis avec les petits enfants de
Yvonne et Henri Dufour.
Il me semble que papa a aussi reçu la médaille de Jeunesse
et sport, il n’avait pas particulièrement le goût des médailles ni celui du
sport hormis un court passage sur les cours de tennis mais chevelure
grisonnante aidante il finit par la recevoir avec gratitude !
Fiers nous étions que son dévouement à tout ce qui touche
l’école, l’éducation permanente et les activités culturelles soit reconnu.
Critiqué, il le fut comme toute personne active, s’impliquant
dans la société, défendant avec force ses convictions surtout lorsqu’on fait
parti de la minorité !
Ajoutez à cela son humour quelque fois mal perçu, sa
franchise dérangeante, son opiniâtreté lui permettant de venir à bout de tout.
Rien ni personne n’a éloigné mon papa de son combat laïque, de sa lutte contre
les injustices, seuls ses 92 ans l’épuisent et estompent sa soif de persuasion.
Fini le bel orateur pourtant lorsque je tente de raviver sa mémoire ancienne en
évoquant des conflits où en famille nous envahissions les marches du palais de
justice, la place du ralliement, les rues angevines en saluant discrètement
certains clients sur leur pas de porte, tout en scandant « pas
d’enseignement au rabais »… ou « non à une Algérie
française »…ou une certaine année 68, « il est interdit
d’interdire »… j’ai l’immense bonheur de revoir cette malice qui lui était
bien personnelle, et faisait briller ses yeux noirs.
A la FOL je ne peux témoigner de toute son implication je ne
peux que confirmer que pour vivre ce combat il était soutenu par sa femme qui a
souvent joué les pénélopes. Que d’heures hors de la maison, que d’heures à
l’aider pour que son projet se réalise et combien d’amis ont découvert notre
table, pas « Top chef » plutôt pot de rillette cornichons mais quelle
ambiance, le militantisme dans la bonne humeur c’était bon pour la santé !
A la FOL en étant administrateur puis Président il a tenté
une ligne politique, pas tout le temps dans l’obédience de la Ligue de
l’Enseignement, ce qui lui a valu d’être en minorité. Je pense qu’il n’a pas
été suivi sur sa politique de la laïcité.
Ce départ ne l’a pas empêché de continuer de diriger la
troupe de l’UFOLEA au sein de la FOL, troupe d’amateurs exprimant son amour
pour cet art vivant. Friand de ce face à face entre acteurs et spectateurs,
convaincu que le théâtre était et sera toujours un formidable moyen de culture.
Il a tué sa grande timidité d’adolescent et dans sa forme politique,
historique, sociale, esthétique… lui a donné la parole, l’a fait réfléchir, la
comblé de plaisir. Cette jeune troupe, non revue depuis 20 ans, pour son
dernier entracte angevin lui a offert une belle surprise, une grande émotion en
venant lui dire au revoir avant son départ pour Dijon. Ils lui apprendront que
Chevrollier est le seul établissement du département de Maine et Loire à
proposer aux élèves des classes littéraires, un enseignement approfondi de
théâtre évalué au baccalauréat. Le théâtre est une aventure collective fondée
sur la rigueur, l’écoute, la découverte d’un langage artistique qui met en jeu
le corps, le geste, la parole, la personne entière dans son rapport aux autres,
d’ailleurs aujourd’hui encore il m’est difficile de cerner, au milieu des
résidents de sa maison médicalisée, si il est dans le vrai ou dans cet esprit
théâtralisé qui, je l’espère, l’aide à affronter la dure réalité du
vieillissement.
Son bénévolat pour la cause culturelle était sans limite, il
fut, sous l’impulsion de Pierre Barrat, directeur du Théâtre Musical d’Angers,
membre fondateur et vice-président du conseil d’administration de la Maison de
la Culture. Une révolution culturelle s’instaure en la Cité angevine avec des
spectacles audacieusement orchestrés et appréciés d’un public non habitué à ce
style de prestation… ça décoiffe des pièces comme « Oh ! Que la
guerre est jolie », du Marivaux dans une mise en scène moderne jouant avec
le public ou « La cuisine » vue par Ariane Nouchkine… Que du bonheur.
Il adhérera aussi à l’Association de recherche sur les Arts
graphiques « Les compagnons de Lurs » organisant à Fontevrault, avec son ami Delfaut, des séminaires de
réflexion, d’étude, de confrontation entre artistes, créateurs et imprimeurs.
Un régal pour moi de profiter de ce bain de culture et de la naïveté de
certains artistes.
Dès qu’il m’est possible je prends la route pour Saint
Gervais-les-Bains où nous séjournons plusieurs mois de l’année, avec arrêt
bonheur à Dijon et je vous confirme, que sur sa table de nuit, avec son
abonnement « Ouest France » il
y a le bulletin annuel des Anciens de Chevrollier et « son » Anjou
Laïque.
Nous évoquons souvent le Chalet du Cart, situé lui aussi à
Saint-Gervais. Chalet qui reste une de ses fiertés puisqu’il unit son frère
Marcel pour la découverte de ce lieu d’une grande beauté face au Mont Blanc, et
sa personne pour avoir cru en ce projet avec la nécessaire persévérance pour
l’obtention d’un crédit bancaire, sans oublier tous les « fous » qui,
d’une ruine, ont donné, été après été, brouettes après cuvettes, naissance à un
beau chalet-refuge où depuis de nombreuses années il a hébergé des Normaliens,,
aujourd’hui des amoureux de la vraie montagne et des stages de ski. Papa espère
que les rigueurs économiques, les subventions manquantes n’obligent la FOL à se
séparer de ce bel endroit qu’il aimerait tant revoir, lui qui, son imprimerie
fermée, n’oubliait pas de passer par les Alpes afin de soutenir ce groupe de
bâtisseurs et de partager une balade dans les hauteurs qui lui faisait débuter
ses vacances en Italie avec plein d’ampoules aux pieds.
Jamais je ne remercierai assez mon papa pour cette vie
curieuse, militante et aimante.
DOMINIQUE
Quel magnifique article retraçant la vie de votre papa et de son engagement laïc: je suis le fils de Claude Barrè (ancien instituteur â la chapelle saint laud) : votre père a partagé beaucoup de moments avec mes parents notamment à la Fol .Ce matin en ouvrant le journal : nous avons eu la très mauvaise surprise d apprendre le décès de Marcel : aussi Maman (Josette Barré et moi même nous nous associons a votre lourde peine et vous adressons nos très sincères condoléances) : nous enverrons un courrier sur Dijon
RépondreSupprimerRICHARD ET JOSETTE BARRE
Désolé : il s agit bien de Roger et non Marcel : les 2 frères étaient des amis à mes parents .
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