La ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a ouvert le
débat en remettant sur le métier le projet d'abolition de la prostitution
qu'avait initié, dans le précédent gouvernement, Roselyne Bachelot. Jean Goblet
se fait l'avocat de deux thèses. Deux points de vue furent déjà exposés dans le
numéro 99.
Est-on propriétaire de son
corps ?
Le projet d'abolition de la
prostitution relance le débat.
C'est à moi, le gamin qui dans la cour de l'école maternelle défend
son sac de billes est le symbole de l'attachement d'une grande partie de
l'espèce humaine à la propriété. Sacro-sainte propriété, ils ne sont pas
nombreux ceux qui partagent l'opinion de
Proudhon : La propriété c 'est le vol. Mon
bien, mes biens sont considérés comme
une partie de soi, la terre pour les paysans, la chaumière pour monsieur et madame Tout-le-monde, l'automobile pour certains. Les agents immobiliers étaient encore il y a quelques années des « marchands de biens ». Dans le code civil elle est longue la liste des articles sur les infractions et délits d'atteinte à la propriété.
une partie de soi, la terre pour les paysans, la chaumière pour monsieur et madame Tout-le-monde, l'automobile pour certains. Les agents immobiliers étaient encore il y a quelques années des « marchands de biens ». Dans le code civil elle est longue la liste des articles sur les infractions et délits d'atteinte à la propriété.
Paradoxe, il n 'est pas évident que l'on soit
propriétaire, en totalité ou en partie, de son corps. L'Eglise catholique, en
refusant l'ultime bénédiction à la
dépouille des suicidés, estime que l'on ne doit pas disposer de son corps,
lequel appartient au Dieu créateur, seul autorisé à le rappeler à
lui. Dans des pays arabes la femme adultère n'était-elle pas condamnée à
la lapidation, son corps étant la propriété de son mari.
La législation moderne stipule que si on est
propriétaire ses organes : foie, rein, cœur... on ne peut cependant pas les
commercialiser. Nous n'en avons en quelque sort que l'usufruit et la
possibilité d'en faire don, sous certaines conditions.
La ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem,
qui a mis ses pas dans ceux de Roselyne Bachelot, en projetant d'abolir la
prostitution conteste aux femmes, en priorité, la propriété de leur sexe en
leur interdisant de le louer. Le problème posé est à la fois juridique, moral et commercial. Il y
a bien sûr l'indiscutable préalable de la non-contrainte. Le fait pour une
femme d'accepter librement de louer son
vagin se différencie-t-il de la
location de sa force musculaire
par un terrassier ou de ses cogitations intellectuelles par un comptable.
On évoque l’aliénation,
l'humiliation de la femme, mais n'est-il pas aliéné et humilié le travailleur à
la chaîne qui deux à trois fois par
seconde, huit heures par jour et 250 jours par an, effectue le même geste.
Il est aussi mis en évidence que
les travailleuses du sexe le font en désespoir de cause, n'ayant pas réussi à
trouver une autre activité pour faire
face à leurs besoins vitaux, mais la jeune femme titulaire d'un diplôme bac plus quatre, qui office à la caisse d'un
hypermarché, ne s'est-elle pas aussi résignée à cet emploi en désespoir de
cause.
Pour aller au bout de sa démarche la ministre
devrait envisager de mettre à l'index
les films X, dans lesquels acteurs et actrices commercialisent publiquement
leur sexe, ainsi que les photos pornographiques qui s'étalent sur les écrans
d'ordinateurs, via internet.
Outre qu'il est illusoire, pour des raisons
tenant à notre espèce, de vouloir interdire le plus vieux métier du monde,
c'est la liberté de disposer de soi-même qui est menacée, à moins de considérer que les
organes liés à la reproduction sont l'objet d'un culte particulier.
Une avancée
sociale
Le projet de la ministre des Droits des femmes, Najat
Vallaud-Belkacem, ne doit pas être considéré comme un vœu pieux inspiré par des
intégristes féministes.
L'argument de l'impossibilité
d'éradiquer « le plus vieux métier du monde » n'en est pas un.
L'esclavage a été aboli, et il y a encore des esclaves. L'ivresse au volant est également interdite,
mais elle n 'est pas éradiquée. Il en est de même de la limitation de vitesse.
Interdiction de rouler à plus de 130 kilomètres-heure sur auto-route, ce qui
n'empêche pas certains de pousser au-dessus de 200. Reste que l'interdit est sanctionné et que la menace de la
sanction a des vertus dissuasives. On peut penser que la perspective de se
retrouver devant un tribunal tempérerait les ardeurs des clients des
prostituées. On peut certes arguer qu'en Suède la loi sur l'abolition n'a fait que
rejeter la prostitution dans la clandestinité, mais il est aussi vrai que la loi
sanctionnant les clients n'est pas appliquée
avec une extrême rigueur.
Autre argument : toute activité salariée est
prostitution., on loue ses facultés cérébrales ou physiques, c 'est à dire une partie de son
corps à un tiers, en échange d'une
rétribution. Nuance importante, l'action du travailleur manuel ou intellectuel est extérieure à son
corps, alors que la prostitution constitue une intrusion dans l'intimité de son corps. Dans un cas on
utilise les biceps du travailleur manuel, dans l'autre on prend possession d'une partie du corps, comme on le ferait
d'une marchandise. L'acte, même consenti, est un viol, au même titre que le
fait d'accaparer le psychisme d'un individu par le gourou d'une sec te.
Est-il
jamais consenti par les femmes
l'acte sexuel rémunéré ? Ne parlons pas
des victimes des proxénètes. Ne parlons pas de ces filles, de ces gamines des pays de l'Est et d' Afrique, auxquelles on fait miroiter un
eldorado et qui se retrouvent sur le
trottoir livrées à des mafieux sans
scrupules. Des prostituées se déclarent travailleuses (indépendantes) du sexe
et demandent à être officiellement reconnues comme telles. Le choix d'exercice
de « leur métier » relève le plus souvent de contraintes sociales.
C'est le cas des étudiantes qui se vendent pour payer leurs études. En tout
état de cause dans l'acte sexuel rémunéré
il n'y pas deux partenaires égaux, mais un dominant et un dominé. La
femme est la merci des exigences, des
fantaisies du mâle dominant, de celui qui
paye. Elle est qu'elle le veuille ou non dans le rôle de l'esclave; elle
est réduite à l'état d'objet.
L'abolition de la
prostitution marquerait une avancée
sociale comme l'a été la dépénalisation
de l'avortement, une avancée vers plus d'humanité dans les rapports entre les deux sexes.
J. G.
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