Michel Seelig a été interviewé en décembre 2023 par le journal Respublica 1 suite à un article paru dans le figaro, faisant suite lui-même à un dépôt de proposition de loi de F.I. visant à abroger l'heure de catéchisme inclus dans l'horaire obligatoire scolaire en Alsace-Moselle.
Michel Seelig travaille depuis des années sur les régimes dérogatoires d’Alsace et de Moselle. Sur ce sujet il a écrit plusieurs ouvrages. Il fut chef d'entreprise, universitaire, élu municipal, responsable associatif, président du Conseil de l'I.U.T. de Metz.
NDLR : Respublica est le journal de la gauche républicaine, laïque, écologique et sociale .
Philippe Duffau : M. Seelig, vous avez tenu à relever un certain nombre d’erreurs et omissions à propos d’un article paru dans Le Figaro suite au dépôt d’une proposition de loi par le groupe parlementaire LFI.
Michel Seelig : L’article affirme que « l’enseignement religieux [est] dispensé depuis 1872 dans les écoles publiques ». Or, c’est ignorer (volontairement ?) qu’il s’agit en fait d’une application de la loi Falloux, loi française de 1850 que les Allemands avaient en grande partie maintenue.
PhD : Qu’en est-il de la fréquentation des cours d’enseignement religieux de la morale ?
MS : L’article fait état de la participation de 40 % des élèves, sans préciser qu’il s’agit-là des chiffres de l’enseignement primaire et qu’au collège et au lycée la participation est encore beaucoup plus faible. Surtout, il n’indique pas que
PhD : Le maintien, au lendemain de la Première Guerre mondiale puis de la Seconde guerre mondiale, du Concordat pose-t-il un problème de conformité avec la Constitution, qui affirme que la France est une République indivisible, démocratique, sociale et laïque ?
MS : Dans le domaine constitutionnel, on ne retient de la décision du Conseil constitutionnel de 2013 (QPC du 21 février 2013) que l’affirmation de la « conformité » du salariat des pasteurs protestants avec la Constitution de la République. On omet là (comme malheureusement trop souvent) que dans cette même décision, le Conseil a, pour la première fois, défini constitutionnellement la laïcité :
Le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucun culte.
Le Conseil n’avait alors justifié la « conformité » du régime local que pour des raisons historiques, les constituants de 1946 et 1958 n’ayant pas décidé de son abrogation, alors qu’ils affirmaient le caractère laïque de la République…
PhD : Quelle analyse faites-vous du fait que les médias insistent tant sur l’origine politique, le groupe parlementaire LFI, de cette proposition de loi ? N’y-a-t-il que LFI qui milite pour la sortie du concordat et pour que l’enseignement religieux se déroule en dehors des heures de cours et hors de l’enceinte scolaire ?
MS : D’un point de vue politique, l’article a raison de dire que la contestation des régimes dérogatoires des cultes est menée, aujourd’hui, par la France Insoumise sous la forme d’une proposition de loi. Il n’omet bien entendu pas de rappeler l’opposition ancienne à ce régime par Jean-Luc Mélenchon(1).
Ce n’est qu’allusivement, dans le corps du texte, que l’on peut subodorer que cette position est partagée (depuis bien plus longtemps encore) par d’autres acteurs : toute la Gauche en 1981 (avant les renoncements de François Mitterrand), le Premier secrétaire du PS Olivier Faure encore en 2021, le Parti Radical de Gauche depuis toujours, Le PCF, de nombreuses structures laïques associatives ou syndicales, et le Grand Orient de France.
Dans l’état actuel du débat politique national, focaliser sur la France Insoumise n’est pas anodin…
PhD : Il est souvent mis en avant par les défenseurs du statu quo local que le Concordat serait un gage de concorde, de vivre ensemble harmonieusement, d’où en Alsace, un dialogue interreligieux promu et financé par la Collectivité. Quelle est votre point de vue ?
MS : Les arguments des défenseurs du régime local sont toujours les mêmes. Et principalement l’affirmation du fait que celui-ci serait une garantie d’un bon « dialogue interreligieux » et donc de la paix civile.
En quoi le fait de rétribuer curés, pasteurs et rabbins permettrait-il un meilleur « dialogue » entre tous les cultes ?
Le Préfet de Région a réuni les représentants des cultes reconnus et au-delà… N’est-ce pas ce que fait régulièrement le Président de la République au plan national ?
Les défenseurs du régime local mettent aussi en avant l’enseignement religieux à l’École publique (qui fait de moins en moins recette, on l’a vu !). Ils formulent à nouveau leur demande de mise en place d’un « module d’éducation au dialogue interculturel et interreligieux pour les collégiens et lycéens du public », qui avait été rejetée par le ministère de l’Éducation nationale. Rappelons que ce projet consisterait à attribuer aux cultes la mission, au sein de l’École publique, d’enseigner les « faits religieux » en lieu et place des enseignants fonctionnaires de l’Éducation nationale !
PhD : À ce sujet, ne faudrait-il pas plutôt envisager un enseignement laïque de la morale à l’école qui garantisse la liberté de conscience des élèves, qui permette une mise à distance de leurs options spirituelles sans les nier ?
MS : Les programmes de l’Éducation nationale comportent déjà un EMC, Enseignement Moral et Civique. Il convient sans doute de renforcer cet enseignement, notamment sur la laïcité, malheureusement trop souvent incomprise. Cela nécessite aussi de renforcer la formation des enseignants en ce domaine.
PhD : Nous pouvons constater une certaine obsession de certains sur la notion d’identité alsacienne, de traditions culturelles à préserver. Que pensez-vous de la confusion entre identité et Concordat contraire au principe républicain laïque ?
MS : L’argument essentiel des partisans du Concordat reste toujours la défense de l’identité alsacienne… Rappelons les propos de Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local sur le site de ce dernier : « On veut garder les corporations et le Concordat parce que c’est à nous et qu’on ne supporte pas que Paris nous dise que ce n’est pas bien » ! Il s’agit bien là d’une « crispation identitaire » !
On constatera que le département de la Moselle n’est cité que de manière accessoire… Les défenseurs de l’identité alsacienne n’envisagent les Mosellans que comme des « supplétifs » de leur combat régional. Car la Moselle n’a en commun avec l’Alsace que les presque 50 ans de l’annexion allemande de 1871 à 1919.
Notons également que le « Conseil représentatif du droit local », créé en juin 2022 par la Collectivité européenne d’Alsace et le département de la Moselle, n’a évidemment aucune autorité reconnue par la loi pour décider d’éléments juridiques. Il s’agit d’une structure purement politique.(2)
PhD : À propos de laïcité, si longtemps adversaires et soutiens à ce principe s’entendaient sur sa définition. Depuis quelque temps monte une musique qui présenterait différent type de laïcité. Tout le monde se réclame de la laïcité en lui collant des adjectifs. Quelle est votre position sur cette question ?
MS : En ce domaine, l’Alsace se veut être un laboratoire ! On connaît depuis longtemps les positions de Jean Baubérot, dans son ouvrage Les Sept Laïcités françaises (EMSH 2015) où il présente comme une forme de laïcité la « laïcité concordataire » !
Son élève et amie Valentine Zuber va plus loin encore en ventant ce qu’elle appelle une « laïcité de reconnaissance» « qui permet d’ouvrir la porte à d’autres cultes ».
Elle critique ainsi « le système séparatiste de la laïcité », c’est-à-dire, soyons clairs la loi de 1905 qui dans son article 2 affirme que « La République ne reconnaît… aucun culte » !
Elle dit aussi clairement que « l’Alsace et la Moselle pourraient servir de laboratoire »… pour remettre en cause toute la législation laïque française !
PhD : Une dernière question. Ce dispositif concordataire représente un coût payé par l’ensemble des contribuables de tout le territoire de la République française, DROM(3) y compris. Cela est une entorse qui remet en cause un principe fondamental apparu lors de la Grande révolution française de 1789 : « Nul ne doit être contraint de financer un culte qui n’est pas le sien ! » À combien s’élève cette contribution forcée ?
MS : Le salaire des ministres des cultes, curés et évêques catholiques, pasteurs protestants (luthériens et calvinistes, mais pas les évangéliques), rabbins juifs (du judaïsme consistorial uniquement) ainsi que les pensions de retraite (et les versements aux veuves et orphelins pour ceux dont le culte permet le mariage) est prévu au budget national de l’État, pour un montant d’un peu moins de 60 millions d’euros annuels.
Précisons que personne ne propose de « jeter ces bénéficiaires à la rue » en supprimant brutalement leur traitement… La loi de 1905 ne l’avait pas non plus prévu à l’époque. Il conviendrait d’abord de décider que les nouveaux ministres des cultes ne seraient plus payés.
PhD : À ce montant, il convient d’ajouter les financements des collectivités territoriales. Est-il possible d’évaluer cela ?
MS : Le sujet est complexe. En effet, pour le culte catholique, un décret « sur les fabriques des églises » de 1809 impose aux communes, non seulement de veiller à l’entretien des lieux de cultes dont elles sont propriétaires, mais aussi de combler si nécessaire (et c’est souvent le cas) le déficit des budgets des paroisses, budget qui prévoit tous les aspects du culte (les vêtements sacerdotaux, pour ne prendre qu’un exemple). Il n’existe pas à ma connaissance de données cumulant ces dépenses pour la totalité des communes d’Alsace et de Moselle.
Pour les autres cultes, protestants, juif, mais aussi les cultes non « reconnus » (Islam, bouddhisme…) cette contrainte n’existe pas.
MAIS, pour tous les cultes, le fait que la loi de 1905 ne soit pas appliquée, notamment l’article 2 qui dispose que la République « ne subventionne aucun culte » aboutit à la possibilité pour les collectivités locales de subventionner directement ou indirectement les associations cultuelles. Il est encore plus difficile dans ce cas d’évaluer les masses financières concernées, car il peut s’agir de toutes petites interventions comme de participations importantes à des projets.
Le subventionnement du projet de mosquée de la communauté turque de Strasbourg a été retoqué car un certain nombre de règles n’avaient pas été respectées. Mais quelques années plus tôt, la construction de la mosquée « marocaine » avait bénéficié de subventions très importantes de la ville, de l’agglo, du département et de la (défunte) région Alsace…
Notes de bas de page
↑1 Note de la rédaction : Il affirmait, bien avant la création de LFI, le principe suivant « Mieux disant social avec l’extension à l’ensemble du territoire de la République des avantages sociaux des salariés d’Alsace-Moselle et mieux disant sociétal avec l’abrogation du régime clérical du Concordat. »
↑2 Note de la rédaction : cela confirme que le président de l’institut du droit local confond « droit local » et Concordat ». Les deux ne sont pas liés : le maintien des avantages sociaux notamment des salariés est compatible avec l’abrogation du Concordat et la fin de l’organisation obligatoire d’un enseignement religieux dans les écoles publiques. De plus, un récent sondage montre qu’une majorité d’Alsaciens et de Mosellans sont favorables à la sortie du Concordat. Même si ce n’était pas le cas, il est injustifiable de conserver des dérogations antilaïques que ce soit en Alsace-Moselle ou dans d’autres Régions et Département d’Outre-Mer, notamment en Guyane et à Mayotte.
↑3 Départements et régions d’Outre-Mer.
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