jeudi 16 février 2012

Lettre à Ouest France

Une lettre à Philippe Boissonnat, sur la dette publique d'Ageorges Alain.

Philippe Boissonnat
Attaché à la rédaction en chef
Ouest France


Monsieur,

Vous avez réalisé, le 12-13 novembre 2011, avec vos deux collaborateurs Elisabeth BUREAU et Mélanie CONTENT, le dossier sur le thème « D’où vient cette dette si difficile à réduire ? »
Votre approche, me semble-t-il, est à la fois partielle et partiale et elle participe à la chape de plomb instaurée par les pouvoirs financiers et politiques sur une question dont la solution choisie déterminera à terme le maintien de la démocratie politique et sociale.
Dans ces conditions, je me permets de vous soumettre les remarques et interrogations suivantes.

- Est-il possible d’aborder la dette publique actuelle sans la resituer dans le cadre des modifications du système de financement monétaire des besoins financiers collectifs de l’Etat- tout d’abord strictement en France avec la loi du 3 janvier 1973 et ensuite dans le cadre des traités européens – article 104 du traité de Maastricht 1992 (retranscrit dans le droit français avec la loi du 4 août 1993) et article 123 du traité de Lisbonne (2007).
Ces textes ont abouti à l’abandon des prérogatives de financement à moindre coût de l’Etat par la banque centrale, et cela au profit des banques commerciales privées. Sur une dette publique évaluée à 1650 milliards d’euros les banques privées ont détourné en toute légalité 1500 milliards d’euros des caisses de la nation au titre de la charge de la dette (intérêts) et elles ont contribué à l’alourdissement du service de la dette (intérêts + remboursement annuel du capital emprunté).

- Pourquoi ne revenez-vous jamais sur le rôle de la banque de France et du trésor public dans le marché monétaire entre 1945 et 1973, en dépit de l « omerta » sur le sujet caractérisée par les statistiques de l’INSEE sur la dette publique qui, à la différence des autres comptes nationaux ne commencent pas après 1945 mais en 1978. D’autres données existent, auprès du trésor et de la banque de France mais elles sont difficilement accessibles. Pour votre information je vous signale notamment le travail réalisé en 1958 par André TIANO sur le rôle du trésor public sur le marché monétaire.

Faute d’une approche rigoureuse vous
commettez une totale contradiction entre la phrase introductive de votre dossier « Depuis la création d’un état stable en France, l’endettement public a toujours existé » et le graphique présenté dont les données laissent penser que la dette correspond à un problème post 1978. En réalité « c’est un peu plus compliqué que ça » et si l’on fait abstraction de l’évolution définie précédemment on ne comprend pas que c’est lors de la période 60-70 au moment des grands investissements publics (collèges- universités- logements HLM- hôpitaux- autoroutes) que les comptes publics étaient malgré tout équilibrés.

Cette dérégulation et privatisation du financement monétaire des Administrations publiques est l’interface nationale de la dérégulation du système monétaire international de BRETTON WOODS  1944, privé de ces deux éléments stabilisateurs avec :
-l’abandon du rattachement du dollar à l’or en 1971
- la suppression du système de changes fixes avec marges de fluctuations pour aboutir définitivement à un système de changes flottants aux accords de la Jamaïque en 1976.
Cette évolution du système monétaire international, accompagnée de la disparition des contrôles des changes est le terreau premier de toutes les spéculations diverses et variées qui vont se produire par la suite pour déboucher sur la crise financière de 2008.

Les options prises à partir des années 70 aussi bien dans le financement interne des Etats que sur le marché international des capitaux avaient pour but d’assurer la primauté de la finance et des banques ; mais comme ce système a été jusqu’à l’overdose il peut conduire au délire de la spéculation sur les dettes souveraines des Etats malgré tout justifié par l’histoire technique des taux d’intérêt et l’obligation de s’aligner sur la vertueuse Allemagne.
En réalité il y a toujours un pays exemplaire à imiter, avant 2008 c’était le Royaume- Uni mais avec la crise de 2008  le « flambeau » du libéralisme financier a été passé à l’Allemagne, celle-ci bénéficiant de certaines spécificités doit assurer le rôle d’ « entonnoir » contraignant pour faire passer de plein gré à l’insu des peuples, des politiques au service de l’oligarchie financière et cela d’autant plus facilement, que le Président français est un agent facilitateur.
Ces politiques d’austérité imposées aux peuples ont pour objectif premier de financer les intérêts destinés aux banques, compagnies d’assurance, fonds d’investissement et d’irriguer ainsi un système qui débouche sur une spéculation incontrôlée qui n’épargne même pas les matières premières alimentaires.
L’austérité n’engendrera jamais de vrais emplois et l’amélioration sociale. Les déséquilibres financiers que l’on veut soi- disant régler ne sont pas le problème de nos sociétés et ils sont le résultat de choix en faveur de ceux qui font de l’argent avec de l’argent.

La cohérence -agence de notation- triple A- intérêts à la hausse ou à la baisse- nécessite de rassurer les marchés- correspond à un jeu de dupes qui doit conforter un système aux dépens des classes laborieuses. Dans ces conditions la presse ne doit-elle pas faire preuve à ce sujet d’un minimum d’esprit critique et permettre de relativiser les discours moralisateurs et culpabilisants de nos autorités politiques et experts en tout genre qui assurent un matraquage permanent sur le thème - Nous vivons au dessus de nos moyens- chaque français doit supporter à la naissance 26 000 € de la dette publique française.

Pour reprendre le titre de l’ouvrage récent de Nicolas DUPONT AIGNAN il s’agit de « l’arnaque du siècle ».
Pour éviter les régressions économiques et sociales et les dérives politiques qui risquent de suivre il faut, à l’opposition des solutions préconisées assurer une nouvelle prospérité avec le développement et l’harmonisation des droits économiques et sociaux à l’intérieur de l’Union Européenne.
Pour cela, il s’agit en premier lieu de revenir sur les dispositions néo libérales financières et monétaires prises à partir des années 1970 en maintenant un réel pouvoir régalien de création monétaire de la banque centrale et en réformant le système monétaire international pour encadrer un minimum le marché international des capitaux.
Dans ces conditions pourront peut-être apparaître des politiques économiques globales dont l’alpha et l’oméga ne seront pas seulement le paiement des intérêts, la baisse du coût du travail pour « rassurer les marchés » mais des perspectives d’un nouveau développement fondé sur le savoir, la recherche, l’écologie, le social et la culture.

AGEORGES Alain

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