jeudi 29 juin 2023

Le Conseil des sages de la laïcité ou l'assassinat par enthousiasme

Le ministre de l'Éducation nationale, M. Pap N'Diaye a signé un arrêté du 12 avril 2023 qui n'a guère attiré l'attention que de quelques journalistes, car la lecture assidue du bulletin officiel de l'Éducation n'est pas une activité très répandue. Le texte n'est pourtant pas sans intérêt car il modifie de manière très substantielle le Conseil des sages de laïcité. Et l'ampleur du bouleversement est telle qu'il s'agit en réalité d'un assassinat, mais d'un assassinat par enthousiasme. Cette technique, bien connue au sein de l'"État profond" consiste à chanter les louanges d'une institution, puis à la réformer de telle manière qu'elle ne puisse plus remplir sa mission.
L'arrêté du ministre utilise trois techniques pour parvenir à cette fin. Il modifie la composition du Conseil, dilue ses compétences, et interdit tout contact avec les acteurs du système.
 
Modifier la composition
 
On se souvient que le Conseil des sages de la laïcité a été créé par Jean-Michel Blanquer, prédécesseur de M. Pap N'Diaye et attaché au principe de laïcité, tel qu'il est affirmé par la Constitution et mis en oeuvre par la loi de séparation du 9 décembre 1905 et par le principe de neutralité. Installé en janvier 2018, le Conseil a pour mission de "préciser la position de l'institution scolaire en matière de laïcité (...)" et de conseiller les différents acteurs de l'Éducation nationale pour les aider à résoudre les problèmes concrets qu'ils rencontrent. Présidé par Dominique Schnapper, il était constitué d'une vingtaine de membres, parmi lesquels des personnalités fermement attachées au principe de laïcité, notamment Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation pour l'islam de France, des universitaires comme Catherine Kintzler ou Frédérique de la Morena, ou encore Laurent Bouvet qui en resta membre jusqu'à son décès en décembre 2021.


Précisément, le nouvel arrêté prévoit l'arrivée de cinq nouveaux membres nommés par le ministre. Parmi ceux-ci, la personnalité d'Alain Policar fait débat. Sociologue et politistes, chercheur associé au Cevipof à Sciences Po, il défend, par exemple dans un article de 2017, la "diversité" qu'il oppose à une laïcité qui, selon lui, fait le jeu de la "logique identitariste". Il faut donc rejeter ce qu'il appelle la "laïcité combattante" pour mettre en oeuvre des accommodements permettant à chaque communauté religieuse d'affirmer ses convictions. Il appelle donc de ses voeux la mise en place d'un "cosmopolitisme" qu'il reconnaît inspiré du système américain.
Que Pap N'Diaye fasse rentrer ses amis au Conseil des sages de la laïcité n'a rien de surprenant, et chacun a le droit d'avoir sa vision de la laïcité, ou plus exactement chacun a le droit de renier le droit français au profit d'un système importé des États-Unis. Il reste à se demander comment les débats se développeront au sein d'une commission qui passe de quinze à vingt membres, et dont les nouvelles nominations relèvent d'une logique nettement clivante. Dans une interview à l'Express, Alain Policar se réjouit de ce changement d'orientation, et il affirme que "l'idée du ministre est de diversifier les sensibilités au sein du Conseil, jusqu'ici assez monocolore". La formule est intéressante, car elle montre que les membres du Conseil n'ont plus pour fonction d'assurer la mise en oeuvre des lois relatives à la laïcité, mais plutôt d'affirmer des sensibilités différentes qui risquent finalement de se neutraliser.

Diluer les compétences
 
L'arrêté du 12 avril 2023 énonce que les Conseil des sages "étudie les conditions de respect et de promotion des principes et valeurs de la République à l'école et dans les accueils collectifs de mineurs, notamment la laïcité, la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, la promotion de l'égalité des sexes et la lutte contre les discriminations". Ses missions sont donc élargies à toutes les discriminations, noyant ainsi le principe de laïcité au sein d'un ensemble plus vaste.
Cette technique est aujourd'hui bien connue et consiste à invoquer le principe de non-discrimination contre celui d'égalité. Toute demande d'ouverture de lieux de culte, de port de signes religieux, de menus spécifiques dans les services publics de restauration etc, est présentée comme relevant de l'exercice de la liberté religieuse. Tout refus de ce type de revendication est alors présenté comme une discrimination, par hypothèse inacceptable. Le résultat est que ceux qui se fondent sur l'égalité devant la loi, qui demandent seulement que la loi soit la même pour tous, se trouvent stigmatisés comme étant auteurs de discriminations. La laïcité, qui a pour fondement l'égalité devant la loi, disparaît donc au profit du principe de non-discrimination. Disparaît également, par la même occasion, la protection de ceux qui revendiquent comme élément de la liberté de conscience le droit de ne pas avoir de convictions. Ceux-là ne sont plus protégés, puisque la loi se propose désormais de garantir la liberté de religion, mais pas le droit de ne pas avoir de religion.
Ces nouvelles compétences du Conseil des sages rappellent étrangement celles du défunt Observatoire de la laïcité. On se souvient que le principe de laïcité n'existait plus, noyé par des adjectifs, laïcité inclusive ou ouverte, notions dépourvues de contenu juridique mais permettant de diluer la laïcité dans un ensemble au contenu mal défini.

Isoler le Conseil des sages


Enfin, la dernière utilisée par l'arrêté du 12 avril 2023 consiste à priver le Conseil de sages de ce qui constituait sa fonction principale. En effet, il était l'interlocuteur direct des chefs d'établissement qui pouvaient lui demander conseil pour gérer telle ou telle situation embarrassante au regard du principe de laïcité. Qu'il s'agisse de ports de signes religieux, ou de demandes de menus spécifiques ou de tout autre chose, le Conseil répondait directement et envoyer le vade me cum pertinent.
Cette mission a eu un réel succès et c'est sans doute pour cela que Pap N'Diaye empêche totalement son exercice. Au contact direct est substituée une procédure bureaucratique qui contraint les établissements à passer par la voie hiérarchique. L'arrêté précise que le Conseil "agit sur saisine du ministre. Il rend ses avis et études au ministre". De même participe-t-il à la formation des membres des équipes éducatives, mais ils ne peuvent intervenir dans les établissements "que sur sollicitation des recteurs". Quant aux avis du Conseil, ils ne peuvent être rendus publics que sur décision du ministre de l'Éducation nationale, et on peut penser que M. Pap N'Diaye opérera un tri entre ce qu'il veut diffuser et ce qui doit rester secret.
Aucune leçon n'a été tirée de la mort terrible de Samuel Paty. Imaginons un de ses collègues, quelque part dans un collège, victime des mêmes menaces et confronté à la même inertie des responsables de l'institution scolaire. Pour obtenir une aide du Conseil des sages, il devrait précisément saisir son chef d'établissement qui saisirait le recteur, dans un délai plus ou moins long. Toute la procédure se perdrait dans les sables, sous l'influence du fameux mot d'ordre "pas de vagues". Le ministre de l'Éducation nationale n'a-t-il pas pour fonction de protéger les enseignants témoins d'atteintes à la laïcité, voire victimes de menaces ? Pour le moment, son action se résume à la destruction d'une institution qui avait au moins le mérite d'exister. Et cette action est réalisée de manière dissimulée, en affichant un attachement officiel au Conseil auquel on tord discrètement le cou.

La laïcité : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10, section 1


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