mercredi 10 avril 2024

Daniel ROUGER, texte d'Alain Pantais

Sa jeunesse
Daniel Rouger est né à Seiches, le 25 janvier 1905 (l’année de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat), où ses parents dirigent l’école publique. C’est dans ce milieu qu’il passe sa jeunesse et il y trouve certainement des raisons qui lui font choisir la belle carrière de l’enseignement. Son frère Pierre, et sa sœur cadette Lucette, suivront cette même orientation.
Après des études primaires auprès de sa mère (il perd son père en 1910), et des études primaires supérieures à Bressuire, il entre à l’école normale d’Angers, où il fait partie de la promotion 1921-1924.
En même temps qu’il poursuit son instruction générale, il commence également son instruction militaire, et suit, comme beaucoup de ses camarades, les cours préparatoires au grade d’officier de réserve.

L'instituteur
Sorti de l’École Normale, Il va incarner ceux que l’on appelle sous la IIIe République « les hussards noirs ». Ces instituteurs sortis du peuple, pénétrés de la dignité de leur mission, dans un esprit de total dévouement, de sacrifices librement consentis, avec un seul but : former des hommes libres, les futurs citoyens de la République. Il exerce quelques mois à

St André de la Marche. Puis, entre comme stagiaire à l’école militaire de St Maixent, école préparant les futurs officiers de réserve de l’infanterie. Il en sort sous-lieutenant, et accomplit son service militaire à Avesne, au 1er régiment d’infanterie (dans le nord).
Son service militaire terminé, il est envoyé successivement au Louroux Béconais et à Corné.
En 1929, tout jeune marié, il est nommé à Trélazé bourg, où on lui confie une nouvelle classe, (la quatrième, celle des petits). Les Rouger ne sont pas des inconnus à Trélazé, puisque sa mère a été institutrice à la Maraichère en 1925 et 1926, et que son frère Pierre enseigne à Trélazé bourg depuis 1927.
Il se fait rapidement apprécier par tous. Après la classe, il donne souvent, et gratuitement, des cours de musique et de gymnastique à tous les élèves de l’école. Il ne manque pas d’humour, ayant deux élèves s’appelant François Lebras, il nomme l’ainé « François Premier ». Silhouette athlétique, visage franc et souriant, c’est un animateur de premier ordre. Il est imprégné de l’esprit laïque le plus pur et le plus large fait de tolérance et de travail.
Sept ans plus tard, en 1936, il est nommé à l’école publique de St Léonard où là aussi, il va se faire apprécier.
Voici la description qu’en fait Mr Ipeau, son collègue de St Léonard. « Malgré la différence de nos âges, Daniel Rouger était devenu mon ami. Je l’attendais chaque matin avant l’heure de la rentrée en classe. Avec une exactitude exemplaire, il arrivait souriant, d’une bonne humeur toujours égale, et qui était chez lui l’indice d’une santé robuste et d’une confiance absolue dans l’avenir. Il aimait sa profession d’instituteur à laquelle il se dévouait avec joie, avec amour. Quelle affection il avait pour ses élèves ! Comme il était familier, paternel avec eux ! Aussi le travail dans sa classe était-il un plaisir. Dans cette atmosphère de confiance et d’estime réciproque entre maître et élèves, sa discipline, sans rigueur, était à la fois emprunte de fermeté et de douceur.
Il m’appelait souvent pour me montrer les résultats qu’il avait obtenus à la suite de recherches de procédés nouveaux d’enseignement, et il était joyeux et fier quand ses efforts étaient couronnés de succès.
Daniel avait su gagner l’estime de toutes les familles autour de l’école ; plusieurs pères d’élèves étaient pour lui des amis dévoués. Tel était l’instituteur. (Propos tenus le 29 janvier 1941, à l’école St Léonard, pour rendre hommage à sa mémoire ; à cette occasion, une plaque commémorative sera posée dans sa classe)

Le cofondateur de l'UFOLEP en Maine et Loire
L’Union Française des Œuvres Laïque d’Éducation Physique est fondée en 1928. C’est la branche sportive de la ligue de l’enseignement, créée sous la présidence du docteur Michot, grâce à l’action de Jean Macé, qui en avait donné l’élan initial.
Daniel Rouger implante cette fédération dans le Maine et Loire, en mars 1938. Il en sera le premier secrétaire. Avec sa foi et sa ténacité habituelle, il réussit à grouper les sociétés scolaires et post scolaire de la plus grande partie du département, dans des réunions sportives.
Grâce à l’adhésion d’une quarantaine de clubs, il met sur les rails le premier championnat UFOLEP de football, parallèlement au championnat de la L.O.F.A (ligue de l’ouest de football association). Plus tard, une Coupe de l’Anjou UFOLEP sera mise en jeu chaque année, qui deviendra en 1949, la Coupe Daniel Rouger.
Il met en place une coupe annuelle des patronages laïques. En athlétisme, ainsi qu’en natation, il envisage que l’UFOLEP puisse décerner des brevets sportifs populaires.
Il est aussi vice-président de la fédération des Œuvres Laïques du Maine et Loire et membre de la Ligue Nationale de l’Enseignement, qu’il représente fréquemment lors des congrès nationaux.

Le sportif
Tous les sports l’intéressent, et il en pratique beaucoup. Il suffit d’approcher ce grand garçon, d’allure décidée et sportive pour s’en convaincre.
Il pratique :
L’athlétisme :
En1928, il est champion départemental des 100, 200,400 mètres. Il se distingue également dans les courses de demi-fond.
La moto :
Il est licencié à l’U.M.A(union motocycliste de l’Anjou) il dispute fréquemment le kilomètre lancé, sur la longue ligne droite entre Beaufort et Longué.
Le tennis :
On le voit souvent jouer avec le champion départemental, le docteur Le Corvaisier son ami.
Le football :
Il joue d’abord au C.S.J.B (Club Sportif Jean Bouin), puis à Corné, où il fonde le club de football. Il y cumule les fonctions de secrétaire, d’entraineur et de joueur. En 1945, la ville de Corné honorera sa mémoire, en donnant son nom à son complexe sportif.
Ensuite il va jouer au SCO, au CUA (Club Universitaire Angevin), et enfin à l’Églantine de Trélazé, jusqu’à sa mobilisation en septembre 1939. Il a 34 ans, mais c’est encore un homme très solide. Capitaine de l’équipe première, où il joue demi-centre, combatif, beau joueur, parfait camarade, son intégration se fait sans aucune difficulté. Ses conseils, ses services, sont très appréciés. On le voit sur tous les terrains, encourageant ses coéquipiers de sa grosse voix. Loyal dans la vie, il l’est aussi sur les terrains, et jamais un adversaire n’eut à se plaindre de quoi que ce soit qu’il puisse lui imputer. A l’annonce de sa disparition, le comité directeur de l’Eglantine décidera que son stade (stade Ferrer à cette époque), portera le nom de « stade Daniel Rouger », (inauguré en octobre 1941) et fera ériger un monument à sa mémoire, un beau bloc d’ardoise où une simple plaque sera posée.

Le journaliste sportif
Passionné de Sport, il devient presque naturellement journaliste sportif. Il s’intéresse vivement au cyclisme, et ses commentaires du mardi, dans le journal « l’Ouest » (repris plus tard par Ouest France), sont très détaillés et particulièrement appréciés. Il signe ses articles sous le pseudonyme de Michel Daroux (Michel, le prénom de son fils, Daroux, la contraction de Daniel et Rouger).
D’une nature bienveillante, il sait tempérer sa critique, craignant avant tout de décourager les bonnes volontés. Par contre, il met tout son cœur et tout son enthousiasme quand il s’agit d’aider un jeune sportif qui vient de se révéler (comme Subram, un de ses anciens élèves).

Le directeur de patronage laïque
En 1925, il accepte le poste de directeur du patronage Paul Bert à Angers, qu’il dirigera jusqu’à sa mobilisation.
Sous son impulsion, le goût des sports, de la course, de la marche surtout, se développe chez les enfants du patronage. Il les emmène faire des excursions, soit à pied, soit à bicyclette, dans les environs d’Angers. Pendant les dernières années qui ont précédé la guerre, les pupilles de Paul Bert participent au championnat des patronages laïques du département. Des souvenirs témoignent des succès qu’y obtinrent ses élèves.
Les promenades des grandes vacances sont également toujours admirablement choisies. De ces promenades, les élèves retirent non seulement le plaisir de sortir, voire de nouvelles choses, de nouveaux pays, la mer…mais aussi de sérieuses connaissances.
Trouve-t-on sur la route un monument historique, un coin de paysage intéressant, les voitures s’arrêtent, et les pupilles écoutent avec plaisir, la petite leçon que leur fait Monsieur Rouger.
En juin 1941, sera posée au siège du patronage, une plaque à sa mémoire, en présence du Maire d’Angers Monsieur Victor Bernier, et d’une nombreuse assistance.

 
L'officier et sa fin stratégique
Lieutenant de réserve, il est mobilisé en septembre 1939. Il rejoint le 125 ème régiment d’infanterie formé à Angers. Dès les premiers temps, ses connaissances sportives le font choisir comme officier des sports, pour toute la division. Il se comporte avec ses hommes, de la même manière qu’il se comportait avec ses élèves où ses co-équipiers : bon, loyal, consciencieux.
Alors qu’il manœuvre avec son régiment dans la vallée de l’Authion, il croise « petit Jules Frémont », un ancien camarade de l’US Corné. Un signe amical de la main, ce sera leur dernière rencontre…
Puis il quitte Angers le 13 septembre avec le deuxième bataillon du 125 ème régiment d’infanterie, vers l’est de la France, près de St Avold. Il fait connaissance avec « la drôle de guerre », fait de coup de mains et d’embuscades. Son bataillon prend position devant la ligne Maginot. Il a reçu l’ordre d’installer des abris de fortune, des casemates, face au no man’ land. Les escarmouches sont fréquentes. En novembre 1939, le troisième bataillon de son régiment déplore la perte de deux officiers, d’une cinquantaine d’hommes et d’une vingtaine de prisonniers.
Son nouveau capitaine (de réserve) l’inspire peu : « propriétaire viticole au Breuil à Beaulieu, il est orgueilleux, rappelant sans cesse ses chasses avec Monsieur de ceci ou Monsieur de cela… il nous demande de ne pas serrer la main aux sous-officiers, de ne pas trop se mêler avec la troupe. Il peut courir pour m’empêcher de faire ce que je veux, d’ailleurs il me fiche la paix, et recherche même ma compagnie, n’en ayant pas d’autres. »
Les exercices se répètent « dès l’aube, 15 kilomètres de marche à travers bois et champs, sautant les fossés et les clôtures de barbelés, parfois quatre rangs de barbelés avec
double clôture, on ne s’amuse pas. »
Il organise des matchs de football « nous avons disputé deux matchs de football que j’avais organisé au terrain de T…Ils ont eu un succès heureux. J’ai passé ainsi un bon après-midi, le football a toujours été pour moi un agréable passe-temps…même en temps de guerre. »
En avril 1940, ils vont prendre position à la frontière belge, à Tarzy, située à 80 km au sud de Charleroi. « Nous devons nous tenir prêt à bondir au secours de la Belgique. Pour ma part, je ne suis pas tellement pressé. Pourtant, cela viendra bien un jour ou l’autre » écrit-il à sa mère le 12 avril.
Quelques jours avant l’offensive allemande, il est blessé au genou. Le médecin lui propose l’évacuation sur un hôpital de l’arrière, il refuse.
Le 10 mai, sa compagnie est mise en alerte, il a juste le temps d’envoyer une lettre à sa mère  où il pressent ce qui va se passer « alertés depuis ce matin, nous sommes déjà prêts à partir. Nous attendons le signal, mais je crois que cette fois il viendra. Demain nous foulerons sûrement le sol Belge pour arrêter l’envahisseur. Puissions-nous ne pas y connaitre un nouveau Charleroi (allusion à la bataille de Charleroi en aout 1914, opposant la 5ème armée du Général Lanrezac, à la 2ème armée allemande du Général Von Bulow, et qui se termina par la retraite des troupes françaises). Soyez patients et courageux, si je tarde à écrire, c’est que je ne pourrai pas faire autrement. Ma chère maman fais mes amitiés à tous mes amis, embrasse bien mon petit Michel (son fils), dis-lui que je reviendrais le voir au mois de juillet, inutile de lui dire la vérité. » C’est le dernier courrier que Daniel Rouger adressera à sa famille.

La fin
La sixième compagnie prend position sur le sol Belge à quelques kilomètres de la Meuse, près de Gérin, à quelques distances de Dinan (rive droite).
Dans la nuit du 12 au 13, des éléments de la cinquième Panzer Division, franchissent la Meuse, en empruntant l’écluse de Houx, mal défendue et s’infiltrent dans les dispositifs de la défense française.
Le 13, appuyés par leur artillerie et leurs blindés, les allemands réussissent à renforcer leurs têtes de pont sur la rive gauche de la Meuse, sans que les français parviennent à les annihiler. Toute la journée, l’aviation allemande s’en prend aux défenses françaises, relayée par l’artillerie lourde vers 17 heures.
Par chance, la sixième compagnie commandée par Daniel Rouger, avait eu le temps d’aménager ses positions dans la nuit, et n’a pas eu à déplorer la moindre perte.
Mais le 14 au matin, de lourdes menaces pèsent directement sur elle. Les blindés de la septième Panzer division commandés par Rommel, franchissent la Meuse, et foncent droit sur la sixième compagnie.
L’attaque est massive et foudroyante. A 18 heures 15, le lieutenant Rouger est mortellement blessé à la tête par un tir de blindé. En moins d’une demi-heure, toutes les défenses tombent aux mains de l’ennemi. Seuls quelques hommes réussissent à s’échapper, la compagnie est anéantie. Rommel va lancer ses chars dans un raid audacieux de 120 km, qui va le conduire en quelques jours à Abbeville. L’initiative était si risquée, qu’il due faire le silence radio pour ne pas obéir aux ordres d’Hitler, l’exhortant de s’arrêter. Cependant, cette initiative s’avéra décisive dans la victoire allemande.
Le corps, de Daniel Rouger est provisoirement inhumé sur place par trois de ses soldats, qui seront faits prisonniers. Puis, en septembre 1940, il est transféré dans le cimetière de Gérin. Sa famille ne sera officiellement informée de son décès, qu’en juin 1941.
En novembre 1949, le retour du corps de Daniel Rouger donne lieu à d’émouvantes funérailles, suivies par la foule nombreuse de ses amis. Le deuil, conduit par sa veuve, part de la tour St Aubin, où a lieu la levée du corps, au cimetière de l’est où il est définitivement inhumé.

La reconnaissance

Militaire :
Le 3 décembre 1942, on lui attribue à titre posthume, la Croix de Guerre 1939-1940, puis la Légion d’Honneur.

Civile :
Il existe à la Mairie d’Angers, une plaque commémorative, portant les noms des fonctionnaires angevins tués pendant la seconde guerre mondiale (près de l’entrée de la chapelle des Ursules). Daniel Rouger figure sur cette plaque.
A proximité du quartier St Léonard, une rue, qui relie le Chemin de Ballée à la rue Coste et Bellonte est baptisée Rue Daniel Rouger.
La rue qui mène à l’entrée du terrain de l’Eglantine, porte également son nom.
En 1942, afin d’honorer le chroniqueur sportif qu’il fût, le Petit Courrier et la Pédale Angevine, organisent une course de vitesse portant son nom.
En 1949, la Coupe UFOLEP de football devient Coupe Daniel Rouger.
Rappel : deux complexes sportifs portent son nom, l’un à Trélazé, l’autre à Corné
Le monument érigé à sa mémoire en 1941, a été transféré  sur le  terrain de l’Eglantine en 1954, où il est toujours visible.
La plaque commémorative, posée en 1941 dans sa classe à l’école de St Léonard, s’y trouve encore, et celle qui se trouvait au patronage Paul Bert (aujourd’hui disparu), est visible au secrétariat de l’Eglantine.


Daniel ROUGER

Sa carrière :
Elève de l’Ecole Normale d’Angers, du 1/10/1921 au 30/09/1924
Titularisé avec effet au 1/1/1925

Stage : à St André de la Marche, du 1/10/1924 au 9/11/1924

Service militaire : du 10/11/1924 au 30/09/1925

Stage : au Louroux Béconais du 1/11/1925 au 30/9/1926

En poste :
à Corné du 1/10/1926 au 30/9/1929
à Trélazé du 1/10/1929 au 15/9/1936
à Angers, St léonard, du 16/9/1936 au 1/9/1939

Il se marie avec Yvonne Dupré, le 7-8-1929. Elle décédera en 1984.Il aura un fils Michel, né le 7-3-1931. Il décédera en 1943.

Mobilisé le 2/9/1939, il décède le 14/5/1940 à Gérin (Belgique)

Son père : Pierre Rouger est décédé en 1910
Sa mère : Elyse Rouger, née Dupuis le 5-10-1873, décédée en 1954, fut institutrice à Seiches, Beaufort, Trélazé (la maraichère)
son frère Pierre, né le 11-10-1903, décède le 8-9-1944 , écrasé par un véhicule allemand (à la madeleine à Angers), il a été instituteur à Trélazé bourg. Il est révoqué sous Vichy pour son appartenance à la franc maçonnerie.
Sa sœur Lucette sera institutrice à Corné, Gonnord, St léonard. Elle se marie avec Mr Moron lui aussi instituteur. Elle sera révoquée par les autorités de Vichy pour les mêmes raisons que son frère. Elle tient alors la comptabilité de la laiterie de Thouarcé.
Pendant la guerre, elle abrite des résistants, comme Jean Rolland qui sera fusillé par les allemands.
A  la libération, elle sera réhabilitée (par De Gaulle), et obligera le Maire de Gonnord à le faire savoir à la population (il était semble-t-il un peu « collabo »).

Quelques élèves de Daniel Rouger, à Trélazé bourg :
Canevet Yvon, Beury Maurice, Contant Emile, Chevreuil Marcel, Cuau Michel, Coloigner Michel, Chevallier René, Dagorn Daniel, Ferrer Jean, Gaudin Raymond, Gauthier Roger, Goacoulou François, Guichard Jean, Lepage Henri, Lebras François, Marchais Henri, Rospars Henri, Roperch Raymond, Péna Jean

Les instituteurs du bourg en1929
Mr Veignault, Md Veignault, Rouger Pierre, Rouger Daniel

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