lundi 10 mars 2014

Encore le breton

Ainsi Anicet Le Pors qui fut ministre communiste en 1981et Nicolas Sarkozy se retrouvent dans la défense des langues régionales. La fabrique de l'information nous canalise si fortement sur les divergences, voire les conflits bien plus vendeurs que les convergences, qu'on en vient à s'étonner. Réaction insensée qui en dit long sur les manipulations qui nous travaillent. Le bon sens continue pourtant à nous souffler que des adversaires politiques peuvent être d'accord sur bien des évidences : que deux et deux font quatre, que la terre est ronde et heureusement sur bien autres choses. Sur les langues régionales entre autres.
Parmi ces langues régionales, le breton , à cause du voisinage, nous touche particulièrement. A cause aussi de son histoire où interviennent des forces fortement antagoniques.
En 1789 le breton est parlé par la masse des paysans natifs qui sont unilingues. La révolution juge depuis Paris la situation insupportable. Au nom du centralisme et du constat que la contre-révolution parle volontiers corse, basque, alsacien ou breton, elle croit devoir
éradiquer ces parlers alors bien vivants. En l'an II l'abbé Grégoire le veut. Le conventionnel Barère le confirme. On parlera certes comme avant le breton en famille. Par contre, à l'école, le français sera obligatoire. Avec l'accord général. Dans les campagnes surpeuplées la jeunesse rêve d'une vie meilleure grâce à l'émigration en région parisienne (ou à Trélazé...). Et le français est un des moyens d'assurer cette promotion. Les instituteurs de la IIIe République seront les champions de ce mouvement émancipateur bien que quelques-uns aient senti l'intérêt d'un bilinguisme préservé.
L'Eglise pèse lourdement sur la situation, non sans contradiction parfois. Ainsi jusqu'au milieu du XIXe siècle les évêques de Quimper s'opposent à la traduction de la Bible en breton. C'est en Angleterre, par les protestants, que ce travail est fait. Il faudra attendre 1867 et le successeur de Mgr de Poulpiquet à l'évêché pour que soit imprimée la traduction de Le Gonidec. Pragmatiques, les curés qui veulent être compris prêchent en breton – même à l'église de la Madeleine à Angers – comme par le passé.
Bien sûr, les courants les plus réactionnaires ont la nostalgie d'un temps idéalisé où le bon peuple parlait breton quoique eux-mêmes soient souvent ignorants en cette langue comme Théodore Hersart de la Villemarqué, apprenant tardif, auteur célèbre du recueil de chants traditionnels, le Barzaz Breiz en 1839. Par réaction la république véhicule le mépris pour ce parler. La seconde guerre mondiale a accentué les hésitations sur la question. L'occupant allemand après 1940 encouragera les mouvements bretonnants à la fois par idéologie fédéraliste sincère et par calcul pour contrer l'élan patriotique français.
Si bien qu'en 1945, les militants pour la défense du breton ont été montrés du doigt comme collaborateurs alors que naïvement ils croyaient œuvrer sur un plan apolitique. Les condamnations à l'indignité nationale, l'exil des plus compromis (Ropars Hémon, interdit de séjour en Bretagne a passé sa fin de vie en Irlande) font que la mémoire collective reste en éveil sur le sujet. En l'an 2000 l'association Di wan qui scolarise en breton quelques milliers d'élèves a dû, à la demande du Conseil Général du Finistère, débaptiser les collèges dénommés Roparz Hémon au motif que celui-ci aurait été un agent recruté par la police allemande...
La cause du breton, ébranlée par ces rappels, confortée cependant par la loi Deixonne de 1951 favorable aux parlers locaux, est vaillamment défendue particulièrement à Rennes à l'Université de Haute Bretagne en UER du langage et en section de celtique. A Brest aussi. Licence. CAPES. Mais le breton des universitaires, breton deuxième langue, est bien sûr décalé par rapport au breton des bretonnants natifs (breton langue première certes, mais langue devenue passive). Et alors ? L'hébreu israélien s'est construit dans une situation autrement difficile. Armés surtout de volonté, quelques milliers de nouveaux bretonnants parlent et transmettent par choix avec un certain soutien dans l'administration et dans les écoles. En dépit souvent de la colère des natifs qui se souviennent de la souffrance de leurs ancêtres aspirant à une vie meilleure mais bloqués parce qu'ils ne parlaient pas français. Ces irrités, qu'on comprend, sont en voie d'extinction.. Il se peut que leurs petits-enfants soient aujourd'hui dans des écoles bilingues.... Chacun conviendra qu'adopter le breton n'obéit pas à l'intérêt économique. Au delà d'un certain effet de mode il peut cependant favoriser l'adhésion à une morale internationaliste. A tout le moins il éloigne de l'esprit de clocher puisque le breton construit qu'on enseigne suit une norme synthétique qui ne privilégie aucun parler local.

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