jeudi 7 juin 2012

Les comptes publics et les origines réelles de la dette française : de l’Etat - Providence à l’Etat - Profinance


Notre dette publique autour de 1700 milliards d’euros avec une soi-disant charge de 26 000 euros à la naissance pour chaque petit français qui arrive sur « notre planète » traduit-elle la déficience totale de la gestion de nos comptes publics avec ce constat apparemment incontournable : « Nous vivons au dessus de nos moyens » ?

Il est intéressant en premier lieu de se reporter aux données chiffrées (en milliards d’euros) des comptes nationaux base 2005 INSEE sur les dépenses et les recettes des Administrations publiques. La période considérée commence en 1959, et pour permettre une explication maîtrisable il suffira de s’en tenir simplement aux années et données les plus significatives contenues dans le tableau ci-joint intitulé : les comptes des Administrations publiques et recherche d’anomalies.

Dans un contexte général depuis 1959, avec des tendances à l’augmentation des dépenses et recettes plus que proportionnelle à celle des richesses produites, il s’avère que
l’année charnière est véritablement 1973. Sans lien direct avec la future crise pétrolière il y a dans la gestion des comptes publics certaines ruptures qui se mettent en place et qui vont fortement influencer les équilibres financiers à venir.
Entre 1973 et 2010 les contraintes civiles et sociales à prendre en charge ont pesé de plus en plus sur les structures publiques.
-   En 1973 il y avait une population active de 22,5 millions de personnes avec un taux de chômage de moins de 3% (sensiblement 500 000 chômeurs), 6,3 millions de retraités et 13 millions d’élèves et étudiants.
-      En 2010 la population active est proche de 29 millions avec un taux de chômage supérieur à 9% (2,8 millions de chômeurs et 4,5 millions avec ceux qui ont un minimum d’activité), 16 millions de retraités et 15 millions d’élèves et étudiants.

Dans ces conditions, sans chercher à apprécier la part des investissements matériels, l’augmentation des dépenses publiques (x 15,5 - PIB x 11) ne semble pas invraisemblable.
Si l’on se reporte au tableau présenté, sans doute doit-on s’interroger sur le niveau de certaines dépenses bien précises et le problème du financement de certaines recettes. Les dépenses de fonctionnement ont été multipliées par 13,5 en 37 ans mais davantage que les postes de fonctionnaires avec l’inutilité bien connue des enseignants….. il existe des dépenses totalement inconséquentes. Le poste « autres transferts courants » multiplié par 31 durant cette période atteint 62,3 milliards d’euros. Dans ce montant, il y a la prise en charge quasi-totale de 30 milliards d’euros d’exonération et d’allègement de cotisations sociales – procédure qui n’existait pas en 1973 et qui bien que n’ayant pas généré l’emploi escompté n’a jamais été  remise en cause – Sachant que le coût total (salaire net + cotisations patronales et salariales) d’un enseignant en début de carrière est de 42 000 euros/an, avec 500 millions d’euros de moins d’exonération de cotisations, on aurait pu sauvegarder 11900 postes d’enseignants, il est dommage que le pragmatisme si souvent revendiqué ne soit pas intervenu dans ce sens.
Autre poste de dépenses, dont l’évolution est proprement extravagante, les intérêts versés qui ont été multipliés par 52,5 depuis 1973. Cette augmentation strictement « démentielle » est véritablement au cœur de la dérive des comptes publics et elle s’explique avant tout par la modification du financement monétaire des besoins financiers collectifs de l’Etat- tout d’abord strictement en France avec la loi du 3 janvier 1973 et ensuite dans le cadre des traités européens- article 104 du traité de Maastricht 1992 (retranscrit dans le droit français avec la loi du 4 août 1993) et article 123 du traité de Lisbonne (2007).
Ces textes ont abouti à l’abandon des prérogatives de financement à moindre coût de l’Etat par la Banque Centrale, et cela au profit des banques commerciales privées. Sur une dette publique évaluée sensiblement à 1700 milliards d’euros les banques privées ont détourné en toute légalité 1500 milliards d’euros des caisses de la nation au titre de la charge de la dette (intérêts) et elles ont contribué à l’alourdissement du service de la dette (intérêts + remboursement annuel du capital emprunté) qui avec l’obligation de réemprunter 180 milliards d’euros en   2012     aux échéances, pérennise un système très profitable aux banques.
En réalité c’est à partir de 1973 que les intérêts à payer vont flamber. Dès 1975 le montant a doublé et atteint 2 milliards d’euros sous l’effet du retour du déficit budgétaire et des nouvelles dispositions monétaires. Avec le recul il est aujourd’hui possible de considérer que dans la décennie 1960-70 les comptes étaient avant tout équilibrés en raison du fort taux de croissance du PIB (plus de 5%) favorisant l’équilibre budgétaire (solde négatif uniquement en 1967 et 1968), et du lissage de la forte dette contractée pendant la période de reconstruction 1945-1960 en raison du rôle majeur de la banque de France et de la faiblesse des taux d’intérêt.
Les dépenses publiques sont souvent un investissement pour l’avenir, faut-il rappeler que dans les années 1970, 2500 établissements scolaires sont sortis de terre (1 collège par jour) ; aujourd’hui l’investissement est avant tout immatériel et il repose en premier lieu, sur plus d’enseignants plus qualifiés, avec des scolarités qui doivent commencer à deux ans pour les enfants, plus de chercheurs, plus de médicaux, plus d’intermédiaires sociaux, d’intervenants culturels – ce qui va à l’encontre du délire néo-libéral organisé en faveur de la finance qui prône la réduction drastique des dépenses publiques , sauf lorsqu’il faut sauver « les meubles » après les aberrations spéculatives de la crise 2008. Selon le tableau, le besoin de financement était de 51,9 milliards d’euros en 2007, c’est à dire approximativement l’équivalent des intérêts -51 milliards d’euros- et il est passé en raison de la déflagration financière  à 143,1 milliards d’euros en 2009. Le monde de la finance ne doit pas infliger la double peine au peuple, paiement d’intérêts plus ou moins indus et ensuite austérité accrue en contrepartie de la déraison financière spéculative.  Le versement des intérêts est ni plus ni moins un prélèvement rentier usuraire sur les finances publiques qui s’évalue depuis 20 ans sensiblement à 5% des dépenses des Administrations publiques. Le vrai problème est là – ce n’est pas la dette publique en elle-même, mais POURQUOI  cette dette et quels en sont les BENEFICIAIRES ?

En matière de recettes l’augmentation (x13,5) est inférieure à celle de la dépense (x15,5) ce qui traduit naturellement une logique d’endettement public apparemment subie mais également suscitée par des orientations monétaires.
Si l’on veut souhaiter limiter ce processus, après les dépenses à restreindre en premier c’est à dire contrairement à l’option préconisée – essentiellement les intérêts versés et celles avec l’effet d’aubaine prétendument au service de l’emploi  -   il faut accroître ensuite des recettes insuffisantes.
Comment peut-on expliquer qu’en l’espace de 37 ans le transfert en capital ait simplement été multiplié par 1,2  il s’agit bien là de l’abandon plus ou moins total de prérogatives régaliennes de création monétaire de la Banque centrale (escompte des efforts publics – autorisation de découvert – avances).
A noter que la seule année où le poste transfert en capital alimente les ressources publiques avec 10 milliards est 2005, grâce aux rentrées des privatisations comme celles des autoroutes, qui à terme vont assurer des rentes au privé, tout en diminuant les ressources de l’Etat dans des domaines où l’intérêt général devrait être prioritaire.

En matière de revenus de la propriété, la stagnation des ressources liées aux intérêts reçus par l’Etat (x 2,6 en 37 ans) témoigne d’un retrait à courte vue du financement d’activités rémunératrices.
Il est impossible de considérer la question de la dette publique sans considérer également la situation des autres agents économiques.

Le rôle des sociétés non financières est déterminant dans l’activité d’un pays comme la France entre 1973 et 2010, la Valeur Ajoutée brute (PIB) est passée de 84,3 à 973 milliards d’euros, c'est-à-dire une évolution (x 11,3) tout à fait semblable à celle du PIB total.
Certaines données spécifiques méritent, à l’aune de l’intérêt général d’être examinées avec un minimum de réflexion.
En 1973, les revenus distribués des sociétés essentiellement dividendes sont les suivants : revenus versés 3,8 milliards d’euros, revenus reçus 1,1 milliard d’euros, solde net 2,7 milliards d’euros. Ce solde correspond à 3,20% de la Valeur Ajoutée Brute totale de 84,3 milliards d’euros.
En 2010, les revenus versés s’établissent à 234,8 milliards d’euros – les revenus reçus à 150,8 milliards d’euros et le solde à 84,8 milliards d’euros c'est-à-dire 8,71% de la Valeur Ajoutée Brute de 973 milliards d’euros. Avec une augmentation équivalente à celle de la richesse  produite, cette distribution ne devrait pas dépasser 30 milliards d’euros, il y a donc accroissement de l’inégalité de répartition aux dépens de l’investissement  (limitation de l’autofinancement) et de la rémunération des salariés. Cette évolution est- elle fondée en période de crise ? Il est permis d’en douter et de toute façon elle infirme sur un plan global l’insuffisance de compétitivité liée au coût du travail (toutefois exacte dans certaines branches). Dans ce cas les actionnaires et peut-être pas seulement du CAC 40 se seraient davantage serré la ceinture alors que l’évolution du solde des revenus versés/reçus 2007 plus 74,5 milliards d’euros, 2008 plus 82,5 milliards d’euros, 2009 plus 85 milliards d’euros, 2010 plus  84,8 milliards d’euros tend à montrer que l’effort est plutôt pour les autres, et en cela les sociétés non financières rejoignent la logique des politiques d’austérité pour combattre les déficits et dettes publics. Sans nul doute, la redistribution doit se faire par des prélèvements fiscaux qui cherchent à compenser cette répartition primaire très inégalitaire du revenu et cela en taxant davantage les sociétés, qui privilégient à l’autofinancement le versement de dividendes , et les ménages bénéficiaires des revenus démesurés du patrimoine .Il s’agit bien d’une version moins néo-libérale de la recherche de l’équilibre des comptes publics

A ce sujet, il est intéressant de se poser la question de l’incurie de l’Administration publique en matière de gestion.
Il est à noter que l’épargne brute (dépenses courantes des administrations moins les recettes) passe véritablement dans le rouge avec la crise financière de 2008 et que les besoins de financement ( position des comptes après enregistrement des dépenses en capitaux) pour les trois administrations centrales, locales et sécurité sociale sont impactés essentiellement par le déficit budgétaire de l’Etat lié avant tout au paiement récurrent d’intérêts plus ou moins légitimes depuis 1973 et au sauvetage récent de l’économie financiarisée comme en témoigne l’évolution des besoins de financement :51 milliards d’euros (39,9 Etat) en 2007 et 143,7 milliards d’euros (117,1 Etat) en 2009.

Les dépenses des Administrations publiques en France sont considérées comme excessives et inappropriées (56% PIB très inférieur en Allemagne mais sans les hôpitaux avec un tiers en moins de population scolarisée) par les économistes néo- libéraux toujours en cours actuellement – en terme d’emploi cela signifie 5,3 millions de salariés – sensiblement 22% des actifs dans la fonction publique ; en Espagne c’est 13 % en raison d’une histoire sociale différente, ce qui malheureusement, pas plus que son équilibre budgétaire jusqu’en 2007 , n’a pas épargné l’Espagne des déséquilibres financiers internes actuels et de la rapacité à son égard du secteur financier. La dégradation des comptes publics n’est pas la CAUSE  de la crise, elle en est un des SYMPTOMES .
L’austérité imposée ne correspond pas à un diagnostic objectif en France comme ailleurs, il s’agit simplement de maintenir la primauté de la finance en garantissant le remboursement d’intérêts, le renouvellement des emprunts largement suffisant pour maintenir la rente versée et le recyclage d’une partie de l’ETAT-PROVIDENCE en subsides pour le secteur privé.
Il est à noter que la dette des autres agents non financiers qui n’ouvre pas cette perspective n’est absolument pas mise en cause alors qu’elle atteint un niveau particulièrement inquiétant pour des agents qui n’ont pas la contrainte des obligations de service public – en 2010 la dette des ménages s’élève à 54,4% du PIB et à 66,1% pour les sociétés non financières en dépit d’une réorientation du financement depuis 20 ans par l’augmentation du capital social aux dépens de l’emprunt.

Les déficits et dettes publics en dehors du cas de leur aggravation par mauvaise gestion comme en Grèce sont, en France comme dans les autres pays, la contrepartie négative de la suprématie accordée depuis 40 ans au secteur financier.

Cela est tellement vrai que la plupart des organismes internationaux et des états après avoir imposé «  l’austérité aveugle » cherche à la relativiser avec une version dite d’ « austérité juste » comportant un volet croissance dans les pactes européens.
Cette réorientation est-elle réelle ou simplement tactique pour surfer sans lendemain, sur un contexte général lié aux propositions du nouveau président français et aux difficultés récessives de certains pays. Il est souhaitable dans la meilleure éventualité qu’elle commence à s’attaquer à l’iniquité d’un système financier qui entraîne progressivement, sous la pression de déséquilibres plus ou moins favorisés des comptes publics, le remplacement de l’ETAT- PROVIDENCE par l’ETAT-  PROFINANCE .
En premier lieu, les pouvoirs publics doivent retrouver leurs prérogatives avec un retour à une intervention plus active de l’Etat qui suppose, dans sa forme préliminaire, la restauration du pouvoir régalien de création monétaire des banques centrales dans la zone euro. Les modalités sont sans doute diverses, du prêt direct de la BCE aux Etats avec un rôle spécifique des banques centrales nationales au système des Eurobonds qui se limite à une mutualisation des risques avec garantie de la BCE – mais il est indéniable que la zone euro dans le cadre d’un volontarisme économique  régulé  constitue un espace privilégié pour enclencher le multiplicateur d’investissement keynésien dans de nombreuses activités.
En second lieu, si l’on requalifie le rôle des banques centrales par rapport au financement des besoins collectifs des Etats, ces derniers se doivent d’avoir une approche rétroactive et d’évaluer le bien fondé et la légitimité des dettes contractées lors de ces dernières années. Certaines dettes doivent être renégociées, restructurées et sans doute annulées (cela est déjà le cas pour un tiers de la dette grecque)

Quant à la soumission ridicule au diktat des agences de notation qui juste avant la crise de 2008 accordaient le triple A aux subprimes, il serait temps que les états dans leur grand messe (style G20) les remettent à une place en rapport avec leur utilité. La spéculation sur les taux d’intérêts des dettes publiques s’identifie pour le coup, à l’image bien connue de la liberté du renard dans le poulailler. Les peuples sont-ils des gallinacés consentants ?

Dans la négative, la perception de la dette publique et des moyens pour y remédier prend un tout autre sens et le prêt de 1000 milliards d’euros au taux d’intérêt de 1% de la Banque centrale européenne aux autres banques – sans aucune contrepartie – conduit immanquablement à s’interroger sur l’architecture même du système financier.

Alain Ageorges

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