mercredi 18 septembre 2019

Le RIP, un triple défi, démocratique, économique et institutionnel


Alors que déroule la procédure de recueil de soutiens au référendum d'initiative parlementaire (RIP), celui-ci soulève trois défis qu'il est nécessaire de décrypter.

Cette procédure de recours au référendum réactive un débat historique sur la question de la forme de la démocratie. Doit-elle être uniquement délégataire et représentative ou participative et jusqu'à quel niveau ?
L'actuelle constitution stipule dans son article 3 que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par voie de référendum. ».
S'agissant des représentants du peuple, ceux-ci sont élus au suffrage universel mais l'article 27 de la constitution précise que « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel. ».
Autrement dit, le parlementaire ne peut être élu sur la base d'un mandat qu'il devra impérativement respecter sous peine de sanction, voire de révocation.
Il est donc totalement libre de ses votes en tant que parlementaire, la délégation de souveraineté est par conséquent sans autre contrôle que l'échéance électorale à venir.
Le second moyen de l'exercice de souveraineté populaire est
le référendum.
Jusqu'en 2008, seul le Président de la république pouvait en déclencher la procédure.
Depuis cette date, une autre possibilité est ouverte comme le décrit le nouvel alinéa de l'article 11 : « Un référendum(...) peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dizième des électeurs inscrits sur les listes électorales (…). ».
De nombreux juristes et politiques ont considéré que les conditions de mise en œuvre de cette procédure nouvelle étaient si difficiles à remplir qu'il s'agissait d'un leurre et que jamais elle ne se concrétiserait.
Les faits leur ont donné tort puisque aujourd'hui nous en sommes à la deuxième étape du processus entamé depuis le dépôt d'une demande formulée par 248 parlementaires et la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 2019.
Indéniablement ce type de référendum échappe au contrôle de l'Exécutif gouvernemental et du Président de la république, son aboutissement est lié à la volonté conjointe d'un certain nombre de parlementaires et d'une fraction significative du corps électoral.
Nous entrons ainsi timidement dans le champs de la démocratie participative permettant au peuple de légiférer directement éventuellement contre l'avis majoritaire des parlementaires sur un sujet d'importance.
Ainsi la légitimité populaire pourrait s'exercer face à la légitimité délégataire dont se réclament les parlementaires de l'actuelle majorité.
Indéniablement , si la procédure engagée va jusqu'à son terme et – ce qui n'est pas garanti comme on le verra plus loin – et que la proposition de refus de la privatisation est majoritairement adoptée, le paysage politique s'en trouvera transformé car la majorité politique actuelle sera désavouée sur un axe essentiel de sa politique.
Celle-ci ne s'y trompe pas comme le montre la déclaration inquiète du Premier ministre le 10 mai 2019 assurant que le RIP « pose une vraie question sur la place qu'on accorde à la démocratie représentative car après plus d'une centaine d'heures de débats en commissions et en séance à l'Assemblée nationale et au Sénat,après qu'une majorité des représentants du peuple se sont exprimés et ont adopté le texte, une minorité est capable de bloquer pendant au moins neuf mois et peut-être plus, l'application d'un texte voté.Que la démocratie parlementaire agisse de façon aussi déterminée contre l'expression de la représentation parlementaire, me laisse songeur. ».
Visiblement pour lui, une décision prise par les seuls parlementaires est plus légitime qu'une même décision prise par l'ensemble du corps électoral.

Le défi économique
Un référendum peut porter sur un vaste ensemble de sujets d'importance dont la liste figure à l'article 11 de la constitution : « (…) tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique,sociale ou environnementale de la nations et aux services publics qui y concourent, ou tendant à la ratification d'un traité(...) ».
On le voit, le projet de privatisation d'ADP (Aéroports de Paris) est bien une question qui peut faire l'objet d'un référendum.
Mais que représente la société ADP ?
Elle contrôle tous les aéroports civils de l'Ile de France dont Roissy, Orly, Le Bourget et l'héliport d'Issy-les-Moulineaux. Elle est propriétaire de 8600 hectares de terrains.
Si l'on additionne les trafics passagers d'Orly et de Roissy, ADP est la première société aéroportuaire du monde, son chiffre d'affaires a progressé de 23,8% en 2018 pour un montant de 4,4 milliards, elle verse 100 millions de dividendes par an à l'Etat.
Dans une tribune publiée dans Le Monde fin janvier, le juriste Paul Cassia notait à propos d'ADP : Cette société gère directement une frontière vitale placée au cœur de notre capitale économique et politique ; 80% du trafic aérien de l'étranger vers la France s'effectue en recourant à ses services. Force est donc de constater que l'exploitation de la société ADP a un caractère de service public exercé à l'échelon national. ». 
Pour nombre d'économistes, le projet de privatisation tel que prévu par le gouvernement est hors norme en ce qui concerne les mécanismes imaginés, les schémas juridiques, la période sur laquelle elle doit s'étendre et comment l'Etat envisage de récupérer son bien à la fin.
Le projet est présenté non comme une privatisation mais comme une concession d'une durée de 70 ans.
La répartition actuelle du capital est la suivante : Etat 50,6%,Royal Schiphol Group 8%, Vinci 8%, individuels 4,3%, institutionnels 22,3%, Crédit Agricole 5,1%, salariés 1,7% .
Considérant que les actionnaires privés perdaient une partie de la valeur de leurs investissements du fait de la durée de vie de la future société à 70 ans, l'Etat veut indemniser ceux-ci entre 500 millions et 1 milliard d'euros qui viendraient en déduction de la valeur globale de 8 milliards. Ainsi le gouvernement s'apprête à payer...pour privatiser,ce qui est sans précédent ! D'autant que les calculs pour évaluer les « pertes » des actionnaires minoritaires sont obscurs car portant sur une durée de 70 ans.
Mais ce n'est pas tout.
Normalement à la fin de la concession, le concessionnaire doit restituer l'ensemble des actifs et des biens en l'état à la puissance concédante – Etat ou collectivités locales – gratuitement. Ici l'Etat a prévu de racheter les actifs au terme de la concession.
Le brouillard est tout aussi épais quant aux conditions du choix du concessionnaire car le gouvernement a rejeté la proposition de procéder à un appel d'offres public et à publier le cahier des charges.
Les candidats à cette privatisation de fait sont nombreux. On cite Vinci, mais aussi des banques d'affaires comme Goldman Sachs. Etonnant que tant de financiers s'intéressent à une affaire que le gouvernement juge si peu rentable....

Un défi institutionnel
A supposer que les 4,7 millions de soutiens requis soient rassemblés, une ultime condition est à remplir comme le précise l'article 11 déjà cité : Si la proposition de loi n'a pas été examiné par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République le soumet au référendum. ».
La loi organique du 6 décembre 2013 fixe ce délai à 6 mois mais ne précise pas quelle forme doit prendre « l'examen » bien qu'un tel « examen » constaté met fin à la procédure, ce qui signifie pas de référendum.
Cette question a été traitée par le Conseil constitutionnel en décembre 2014 se prononçant sur des modifications du règlement de l'Assemblée nationale.
Le Conseil constitutionnel a jugé la rédaction nouvelle de l'article 124-4 contraire à la Constitution et commente ainsi sa décision : « Dès lors, en supprimant toute faculté de déposer, de discuter et d'adopter une motion de renvoi en commission, le nouvel article 124-4 du règlement produirait un effet considérable : toute inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale d'une proposition de loi ayant recueilli le soutien d'un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales conduirait inéluctablement à l'examen du texte au sens du cinquième alinéa de l'article 11 de la Constitution. L'Assemblée nationale perdrait, ce faisant, la faculté qu'elle avait, à la majorité de ses membres, d'obtenir l'organisation du référendum en refusant d'examiner le texte. ».
On voit qu'une motion de renvoi en commission vaut clairement refus d'examen....à condition que cette motion recueille une majorité de voix.
Sans entrer dans les détails, on doit aussi signaler que le règlement intérieur du Sénat n'est pas conforme à la décision du Conseil constitutionnel s'agissant de la motion de renvoi, une mise à jour s'impose d'urgence....
A l'évidence, le nombre de soutiens recueillis pour l'initiative référendaire, au-delà du seuil légal, jouera un rôle considérable face aux arguties juridiques gouvernementales et à l'attitude des parlementaires notamment des sénateurs, la date butoir se situant en pleine campagne électorale des municipales.
                                                                                                                 Jean-Louis Gregoire

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