vendredi 25 février 2011

N°95 EDITO : LA GUERRE SCOLAIRE EST UN FAIT

La majorité des femmes et des hommes politiques de gauche et certaines organisations laïques n’osent plus réclamer la suppression du financement public des écoles privées. Ils appréhendent d’être accusés de déclaration de guerre scolaire. L’éventualité de ce procès les paralyse. Aussi, leur demande de crédits supplémentaires pour l’école publique s’accompagne-t-elle rarement de la revendication fondamentale : «fonds publics à l’école publique». Et pourtant,
même si sa forme a changé, la guerre scolaire existe, aucun besoin de la déclarer. Certes, l’affrontement sur le terrain entre parents d’élèves et enseignants des deux écoles a disparu. Désormais, c’est une guerre plus insidieuse. C’est une guerre d’influence. L’Église catholique, pour promouvoir son école sur des fonds publics intervient auprès des pouvoirs institués. Le «lobbying» est son arme de prédilection. La stratégie s’avère payante. Comme des petits pains, les lois en faveur de l’enseignement catholique se multiplient.

De l’association à la parité
La loi Debré de 1959 est la concession à partir de laquelle les faveurs à école catholique se sont étendues. La loi Guermeur a renforcé son caractère propre et les subventions allouées. Les accord Lang-Cloupet ont assuré la formation professionnelle des enseignants du privé par les IUFM. La loi Carle contraint les communes à payer les frais de scolarité d’élèves inscrits dans des écoles privées de communes extérieures. Désormais, le contrat d’association ne suffit plus. Pour son école, l’Eglise revendique la parité avec le public.
Conformément à ce principe, le sénateur UMP Carle (oui le même) a demandé, à l’assemblée du palais du Luxembourg , lors du vote du budget 2011, de transférer 4 millions d’euros d’un budget annexe de l’Education nationale à l’enseignement privé sous contrat1.
Sur le territoire français, il faudrait autant d’établissements privés sous contrat que d’établissements publics2. La création d’un collège catholique à Chalonnes-sur-Loire et le refus de construire un collège public à Beaupréau vont dans ce sens.

De la Fondation à la défiscalisation
C’est connu, l’argent est le nerf de la guerre. Pour obtenir les deniers publics, les écoles sous contrat, nous l’avons vu, use du principe de parité. Pour celles qui, volontairement, se situent hors contrat, leurs initiateurs doivent trouver d’autres voies. Toutefois, leur stratégie ne diffère pas. Le fondement en demeure la complicité avec des hommes et des femmes de pouvoir. André Lardeux, sénateur UMP de Maine et Loire, s’y prête volontiers. Au palais du Luxembourg, sous les ors de la République, il a présidé un colloque organisé par «la fondation pour l’école». Cette fondation qui affilie des écoles hors contrat, fut reconnue d’utilité publique en 2008. A ce titre, elle peut recevoir des dons défiscalisés à hauteur de 60%. Ces fonds serviront à construire des écoles pour des parents fortunés, ennemis déclarés de l’école laïque. La fondation «Saint Matthieu», aux objectifs identiques, est, elle aussi, une niche fiscale paradisiaque pour libéraux et bons catholiques. Présidée par Claude Bébéar, ancien patron d’Axa, et parrainée (entre autres) par le cardinal Vingt-
Trois, président de la conférence des évêques de France, la fondation Saint Matthieu, dans son conflit ouvert avec l’école publique, allie l’argent et le goupillon. Ah les bonnes oeuvres !

Il faut choisir.
Tant que nous estimerons que l’école laïque républicaine a pour vocation de former des citoyens critiques ; tant que d’autres, en revanche, considéreront que l’école doit préparer à des projets particuliers (religieux ou politiques), il y aura la guerre scolaire. Pour l’éradiquer, il faudrait la victoire totale d’un camp. La privatisation de tout le système éducatif représenterait (hélas) une éventualité. Un marché scolaire partagé se substituerait alors à la guerre.
Mais où iraient les enfants des pauvres ?
Le monopole de l’Etat en serait une autre, mais que diraient, à droite et à gauche, les partisans de la liberté d’enseignement ?.
A défaut d’une solution radicale, une pacification pourrait à terme se dégager si chaque école était financée selon sa nature. «Fonds publics à l’école publique, fonds privés à l’école privée», parce que logique, est (qu’on le veuille ou non) un principe de coexistence apaisée durable. Les militants laïques doivent le réactualiser, même si, (c’est de bonne guerre) les conquérants d’aujourd’hui le dénient. Les femmes et les hommes politiques de gauche, les républicains doivent, eux; choisir entre des accommodements pervers avec la loi de séparation de 1905 ou assumer, pour l’avenir, l’héritage de Jean Jaurès. Ils doivent clairement choisir leur école.

Jack Proult

1 En même temps 16 000 postes furent supprimés dans l’enseignement public
2 L’enseignement technique privé pouvant être financé sans limite, les établissements privés secondaires sont quasiment tous polyvalents. Par ailleurs, des pressions s’exercent pour que les collectivités territoriales puissent financer librement tous les établissements privés (reprise du projet Bayrou de 1993). On parle aussi de supprimer la taxe foncière sur les établissements scolaires privés.

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