vendredi 25 février 2011

ARTICLE INTEGRAL DE L'ARTICLE PARU DANS LE N°95 - POUR UNE LAICITE SANS QUALIFICATIF, MAIS OFFENSIVE


Pour une conception offensive de la laïcité

La laïcité est menacée sous des formes diverses un peu partout dans le monde, y compris en France depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, alors qu’elle est le pays où, dans le sillage 1789, elle a pris la forme la plus rigoureuse et la plus intransigeante qui devrait servir de modèle aux autres pays. Je commencerai donc par décrire un certain nombre de ces menaces, avant de vous proposer ma définition d’une laïcité offensive pour laquelle il faut avoir le courage de se battre.
Je laisse de côté les régimes musulmans qui, même quand il recourent à la notion de République (comme en Iran) sont en réalité des théocraties, n’acceptant pas la séparation du pouvoir politique ou temporel et le pouvoir spirituel ou religieux : la Loi islamique, inscrite dans la charia, couvre tous les champs de l’existence de l’homme, politique et religieuse, individuelle comme collective, et sa source est divine, à travers le Coran, l’homme n’ayant aucune légitimité à énoncer la loi ou les lois de sa vie profane. La laïcité n’y existe tout simplement pas et cela peut expliquer certains conflits violents récents avec des minorités chrétiennes, puisque toute religion, donc l’Islam, aspire par définition au monopole. Vous me direz que c’est leur affaire, sauf que c’est une religion conquérante (comme l’a été le christianisme au temps des croisades) – je vous en donnerai une preuve intellectuelle bientôt – et que, quand à travers l’immigration, les musulmans s’installent très normalement dans un pays laïque, ils ont tendance à y importer des exigences et des comportements non laïques qui sont inacceptables comme le port du voile intégral ou la demande de lieux publics pour les femmes seules (voir ce qui s’est passé à Lille pour les piscines réservées aux femmes musulmanes) ou encore le refus de certaines élèves de la mixité dans les cours de gymnastique, voire le refus par certains élèves, masculins comme féminins, de certains cours de biologie où le corps est montré. Le cas d’Israël est différent, bien que le contenu du judaïsme puisse lui aussi faire problème, en particulier son thème central d’un peuple élu : c’est un Etat qui est en principe laïque, sauf que toute une frange d’extrême droite, à la fois intégriste et fascisante, y progresse politiquement en raison du conflit avec la Palestine, et pourrait menacer à terme la laïcité.
Je me contenterai donc du christianisme en Europe et aux Etats-Unis : on assiste à un inquiétant retour de l’intégrisme dans la doctrine, de l’intolérance dans les comportements et d’une tentative d’envahir (comme dans l’Islam, ici) la sphère publique. La doctrine, d’abord. Dans son rapport à la science, il semblerait que l’Eglise catholique (ou protestante) ait fait son aggiornamento et qu’elle ait admis son autonomie. Or ce n’est pas tout à fait exact. Elle a mis un siècle pour admettre la théorie de l’évolution de Darwin (après avoir mis à l’index Teilhard de Chardin) puisque le pape Jean-Paul II en a reconnu officiellement le caractère scientifique en 1996. Mais cela a été aussitôt pour en restreindre la portée et la conséquence philosophique : elle admet que le corps de l’homme est issu de l’évolution de la nature matérielle, mais maintient que son âme ou son esprit est le résultat d’une création divine immédiate, ce qui est contraire au message complet de Darwin tel qu’il l’a exposé dans La filiation de l’homme et pour qui « l’esprit est une fonction du corps », ce qui est une affirmation résolument matérialiste. Et le pape a même ajouté, dans son langage philosophique, que de la matière à l’esprit il y avait un « saut ontologique » qu’aucune science ne saurait combler, répétant ainsi non un interdit mais un diktat à l’égard des sciences que l’Eglise a régulièrement formulé et qui contredit dans ce cas tout ce que la biologie et les sciences cognitives nous apprennent aujourd’hui sur la nature matérielle de l’esprit. Il y a donc ici un empiètement, même s’il reste mesuré, de la croyance religieuse sur la connaissance scientifique qui est contraire à la laïcité. Mais il y a un empiètement plus grave : celui de l’offensive créationniste aux Etats-Unis, venant des fondamentalistes protestants, visant sinon à empêcher (il n’y ont pas réussi) mais à dévaloriser la théorie de l’évolution en exigeant qu’elle soit enseignée comme le créationnisme dans les écoles, sur le même plan. Je précise que la même offensive est venue récemment de l’Islam turc avec la diffusion mondiale d’un luxueux Atlas de la création anti-darwinien, édité par un personnage fortuné et peu recommandable, et que en Europe, malheureusement, on a vu des gouvernements manifester publiquement de la complaisance à cet égard, comme un ministre de l’éducation nationale en Hollande, recommandant un débat critique sur le darwinisme à l’école ; et le parlement européen a subi des pressions dans ce sens récemment, venant de la hiérarchie catholique, ce qui a suscité une réaction saine d’un député socialiste français qui a levé le lièvre. C’est dans ce contexte que le gouvernement français, en l’occurrence le ministère de l’éducation nationale, a dû mener une contre-attaque et organiser un grand colloque national, auquel j’ai été invité à intervenir, pour imposer l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les lycées comme seule doctrine scientifique dans ce domaine. C’est dire le climat qui règne aujourd’hui autour de cette question où c’est la rationalité scientifique qui est en jeu ! Enfin, dernier point de doctrine plus large, mais qui touche aussi indirectement aux comportements, une récente encyclique du pape Benoît XVI, « Sauvés dans l’espérance », manifeste un étonnant et inquiétant pessimisme à l’égard de l’homme quand il est privé de religion : polémiquant avec le matérialisme marxiste et, plus largement, avec l’humanisme laïque, il dénie à la raison humaine la capacité de définir par elle-même le bien et le mal, affirmant qu’elle ne peut le faire et ne peut devenir « une raison vraiment humaine » que dans l’ouverture à la foi ! Ce propos terrible a été repris en France dans son discours aux Bernardins à destination des intellectuels français, tout cela avec la bénédiction, si je puis dire, de Sarkozy dans son discours au Latran. Celui-ci a pu en tirer cette idée scandaleuse que le curé était mieux placé que l’instituteur pour enseigner le bien et le mal parce qu’il y engageait sa vie et sa foi et, pour la première fois depuis disons un siècle, on a pu assister à la collusion du pouvoir politique lié à la Bourse et du goupillon : la religion est là pour assurer un lien social que le libéralisme détruit chaque jour et elle doit donc être encouragée publiquement. C’est une véritable régression de la laïcité de l’Etat républicain.
Passons à l’intolérance dans les comportements, plus brièvement. La tolérance ou, si l’on préfère (j’y reviendrai) le respect de la vie individuelle quand elle ne nuit pas à autrui, donc le respect de la diversité des choix de vie dans le domaine des mœurs, quelles que soient nos croyances ou notre incroyance, est au cœur de la laïcité. Or on assiste aujourd’hui à un retour en arrière désolant par rapport à ce qu’il y a pu y avoir d’avancées de la religion catholique au siècle précédent. Je laisse de côté son raidissement interne qui ne concerne que les croyants, pour ne parler que de ce qui touche à la vie de tous hors d’elle et je ne  développerai qu’un exemple : son attitude vis-à-vis de la sexualité et spécialement de l’homosexualité. L’Eglise reste ici extrêmement rigoriste, contribuant à répandre une image négative de la sexualité prise en elle-même, indépendamment de la visée procréatrice ; mais surtout, elle continue à condamner l’homosexualité d’une manière inacceptable, au nom d’une norme soit disant naturelle qui n’a aucun sens, surtout lorsqu’on a lu Freud. Elle n’est pas seule dans ce cas puisque les trois religions monothéistes la condamnent sans la moindre réserve. Or ce qui est grave, c’est que cela entraîne de par le monde des comportements homophobes parfois extrêmement violents comme la lapidation ou le meurtre (y compris aux Etats-Unis) qui trouvent dans le discours religieux une justification idéologique toute trouvée. Mais je pense aussi à la manière dont elle condamne sans nuances l’avortement, au point d’avoir condamné moralement des médecins qui l’avaient pratiqué à la suite d’un viol au Brésil et d’avoir dit que le viol est moins grave que l’avortement. On pourrait donner d’autres exemples, qui tous nous indiqueraient ce qu’il y a de malsain dans cette vision de ce qui touche à la sexualité et ils nous expliqueraient sans doute les dérives par lesquelles elle est elle-même touchée et vis-à-vis desquelles elle se montre paradoxalement tolérante.
Enfin, il y a cette fameuse séparation du politique et du religieux qui est un des socles de la démocratie, spécialement en France  avec la séparation des Eglises et de L’Etat. Or on assiste à la volonté sournoise de la remettre en cause. C’est ainsi qu’au niveau européen, il a été question de mentionner les racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution proposée en 2005. Or cela revenait :1 à transformer un fait historique en valeur ou en principe normatif dont les européens auraient dû se réclamer, rompant ainsi la neutralité de l’instance politique et, 2,  à oublier à quel point la démocratie moderne (ou la République) dans tous ses acquis positifs, non seulement dans l’ordre de la liberté politique mais celui de l’égalité sociale, s’est construite contre la religion et non grâce à elle. L’Eglise catholique a toujours pris le train du progrès historique en retard, quand elle ne pouvait faire autrement : en France elle a mis un siècle pour accepter la République après avoir été monarchiste à outrance, et encore un siècle pour accepter l’option socialiste parmi ses croyants en admettant à un synode des évêques en 1972 que l’on pouvait être socialiste au nom de sa foi, en l’occurrence au nom de l’Evangile ; et actuellement, à la suite de la chute des régimes de type soviétique, elle est en recul sur ce point et ne condamne que les excès du libéralisme, non celui-ci. En Europe il faut se souvenir qu’elle a été la complice des dictatures de Franco et de Salazar et actuellement, en Espagne, elle refuse que l’on se livre à un examen critique de son passé. Autre point important : la constitution refusée en 2005 proposait d’intégrer de plein droit les Eglises dans le débat politique parlementaire pour décider de certaines lois. C’est oublier que les chrétiens sont des citoyens qui doivent s’exprimer en tant que citoyens (avec leurs croyances privées) mais qu’il n’existe pas de citoyens chrétiens (ou juifs, ou musulmans) pouvant s’exprimer en tant que tels. Les Eglises n’ont pas à constituer des groupes de pression idéologiques susceptibles d’intervenir directement dans la définition des lois. J’ajoute, sur la question de la séparation du politique et du religieux, que le problème du port ostentatoire de signes d’appartenance religieuse dans l’espace public en fait partie.  C’est le cas du port de la burqua et un laïque ne peut qu’être opposé à  celui-ci (quelles que soient les intentions politiciennes de la loi qu’on nous propose) : à la fois au nom de ce principe de séparation et, tout autant, parce que la burqua est un signe abominable d’oppression féminine, de négation du corps et d’enfermement dans une religion mortifère qui vous coupe de la relation à autrui,  laquelle passe par l’accès au visage de l’autre.
J’ai développé longuement ce tableau sombre pour que vous compreniez mieux, par réaction, la conception offensive de la laïcité que je vais vous proposer, et qui était en filigrane dans ce qui précède. Je  rappelle d’abord la définition préalable de la laïcité qui affirme la séparation des Eglises et de l’Etat  et qui ajoute que l’Etat ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Cela ne veut pas dire, bien entendu, qu’il les interdit, mais qu’il n’en privilégie aucun et qu’il leur reconnaît à tous le droit à l’existence dès lors qu’ils respectent les lois de la République et ne constituent pas une menace pour l’ordre public ; mais cela signifie aussi le droit à l’incroyance et à sa manifestation, dans le même cadre d’indépendance intellectuelle et financière. L’Etat laïque n’est donc ni croyant ni incroyant au sens où il pourrait professer un athéisme dogmatique : disons que, philosophiquement, il est agnostique et pratique l’abstention ou la stricte neutralité, laquelle est obligatoire, mais à ce niveau seulement, vous le verrez. Cela s’oppose à la conception qu’ont cru pouvoir mettre en œuvre les pays de l’Est d’obédience soviétique, puisqu’il y existait un athéisme d’Etat. Or, même si on peut souhaiter la disparition des religions, on ne saurait aller jusque là et s’autoriser à imposer l’athéisme : comme toute position de type philosophique ou métaphysique, celui ne peut être que librement choisi, ce qui était d’ailleurs la  conception de Marx malgré son hostilité radicale aux religions. Reste que, en disant cela, on n’a pas tout dit de la laïcité et du problème qu’elle rencontre, surtout aujourd’hui. Je m’explique. La laïcité est inséparable d’un idéal d’émancipation, elle vise la liberté de conscience comme la liberté tout court, et elle est confrontée avant tout à la question des croyances religieuses, lesquelles ne sont pas n’importe quelles croyances. Issues de l’histoire, on peut en faire un bilan humain négatif tant au plan intellectuel : elles se sont opposées à tous les grands progrès scientifiques, qu’au plan pratique : on peut y voir avec Marx une expression idéologique de la « détresse réelle » de l’homme, à savoir de son malheur historique, expression qui l’a alimenté en retour – bien des exemples que j’ai indiqués précédemment l’ont montré. Et l’on pourrait y ajouter d’autres diagnostics négatifs avec Nietzsche qui voyait dans la religion une force anti-vie et Freud qui y décelait une forme de névrose collective dont il faudrait guérir les hommes. Comment alors penser la laïcité dans ce cadre ou il apparaît que les croyances religieuses peuvent être considérées comme un obstacle à l’émancipation et, disons-le, au bonheur humain, si j’ose dire ici-bas, qui est le seul « ici » dont nous soyons sûrs ? Je répondrai offensivement en trois points, qui m’opposent radicalement à une conception « molle » de  la laïcité. La mienne n’est pas « dure », d’ailleurs, mais tout simplement rigoureuse et exigeante.
La laïcité c’est d’abord le respect, et non seulement la tolérance, du pluralisme et elle suppose donc un domaine où il existe des différences irréductibles : c’est le cas du domaine religieux et, plus largement métaphysique, comme des normes éthiques de vie personnelle qui leur sont liées, alors que ce n’est pas le cas en science où seule la liberté de pensée ou de recherche est exigée. L’idée d’être laïque en science n’a pas de sens puisqu’il s’agit de parvenir à une vérité unique qui fera l’unanimité ! Ce respect du pluralisme, c’est un autre nom de la démocratie et c’est une exigence absolue, mais elle suppose que les religions acceptent elles-mêmes le pluralisme démocratique des croyances et de l’incroyance, ce qu’elles ont rarement fait dans l’histoire passée : l’Inquisition a existé comme la chasse à l’infidèle ou à l’impie ! On ne saurait donc, au nom du respect des croyance et des cultes, tolérer l’intolérance religieuse. On voit alors qu’un problème se pose immédiatement : la laïcité suppose-t-elle la neutralité vis-à-vis de la religion comme le voudrait la mode insistante d’une laïcité « plurielle » ou « positive » qui prône la complaisance à l’égard des différentes confessions au nom de la tolérance, voire qui serait toute prête à les encourager sous prétexte que, dans une société en crise, elle fournirait du « lien social » que cette société n’est pas capable de fournir. On a vu que c’était la position de Sarkozy et de beaucoup de libéraux, comme c’est, curieusement, le cas d’une partie de la gauche oublieuse de l’héritage des Lumières ; et c’est même le cas d’un R. Debray dans sa réflexion théorique sur la société et dans la proposition qu’il a faite au nom du gouvernement qu’on enseigne expressément le « fait religieux » à l’école. Or il faut être clair : il est souhaitable que l’on étudie les religions au même titre que les autres phénomènes culturels et comme cela se fait déjà en histoire et en philosophie, mais à condition que le droit à la critique des religions soit tout autant reconnu. Car, comme je l’ai suggéré dans la première partie de mon exposé, il y a toute une part de négatif dans la religion qu’il ne faut pas occulter et qu’il faut savoir dénoncer, tout simplement au nom de la raison à la fois théorique, appuyée désormais sur les sciences humaines, et pratique : opposition à la connaissance scientifique, vecteur de superstition, de violence et de fanatisme, prises de position inadmissibles dans le domaine de la sexualité ou de la condition féminine, pratiques cultuelles portant atteinte à la dignité de la femme comme la polygamie ou l’excision. Il faut éviter ici le piège du différencialisme : aucun droit à la différence culturelle ne saurait justifier une différence des droits et des devoirs par rapport à ceux que proclame la Déclaration universelle des droits de l’homme, et le respect du pluralisme idéologique s’arrête là où commence à s’appliquer cette Déclaration. Il faut donc reprendre le fil de la critique rationaliste des religions que l’on trouvait dans la philosophie des Lumières avec Hume, Rousseau ou Kant (pour ne citer que les plus grands), puis celui de ces grands penseurs que sont Feuerbach, Marx, Nietzsche et Freud, non pour refuser ou récuser les religions et leur apport positif (qui existe aussi), mais pour les soumettre à la compréhension et au contrôle de la raison qui seule peut organiser la coexistence pacifique et libre de tous les courants de pensée.
D’où une troisième définition de ce que doit être une laïcité ambitieuse : l’éducation à la raison par l’ouverture aux savoirs scientifiques et l’assimilation des grands acquis moraux de l’humanité. Seule une pareille éducation permet la formation d’un jugement libre et l’accès à l’autonomie intellectuelle, condition d’une maîtrise de sa vie individuelle ou collective. Dans ce cadre, l’ouverture aux principales conceptions religieuses ne saurait faire problème puisqu’il s’agira de les examiner d’une manière critique, dans leur statut intellectuel comme dans leur formes ou effets pratiques, à la lumière de la raison. Et s’il y a des domaines qui échappent à cette dernière, c’est encore à elle de le dire et de justifier ainsi le droit à la croyance religieuse hors de la raison. Conçue ainsi, l’option religieuse devient un choix personnel non seulement tolérable, mais parfaitement respectable puisqu’elle ne s’oppose ni à la science ni au progrès humain. L’exigence laïque de ceux qui ne désespèrent pas d’améliorer la vie ne saurait donc se satisfaire des religions telles qu’elles ont été et sont : il exige qu’elles fassent l’objet d’un débat public appuyé sur les seuls critères de la raison théorique et de l’exigence, morale et politique, de l’émancipation des hommes à l’égard de ce qui les empêche d’être eux-mêmes dans le respect des autres.
Pour finir, je résumerai ma définition de la laïcité en trois points  :
1 Respect du pluralisme idéologique et de sa manifestation pratique. 
2 Droit à la critique rationaliste des religions et même devoir de s’y consacrer. 
3 Education à la raison.

Yvon Quiniou, philosophe.
Vient de publier « L’ambition morale de la politique. Changer l’homme ? », L’Harmattan.

N°95 EDITO : LA GUERRE SCOLAIRE EST UN FAIT

La majorité des femmes et des hommes politiques de gauche et certaines organisations laïques n’osent plus réclamer la suppression du financement public des écoles privées. Ils appréhendent d’être accusés de déclaration de guerre scolaire. L’éventualité de ce procès les paralyse. Aussi, leur demande de crédits supplémentaires pour l’école publique s’accompagne-t-elle rarement de la revendication fondamentale : «fonds publics à l’école publique». Et pourtant,
même si sa forme a changé, la guerre scolaire existe, aucun besoin de la déclarer. Certes, l’affrontement sur le terrain entre parents d’élèves et enseignants des deux écoles a disparu. Désormais, c’est une guerre plus insidieuse. C’est une guerre d’influence. L’Église catholique, pour promouvoir son école sur des fonds publics intervient auprès des pouvoirs institués. Le «lobbying» est son arme de prédilection. La stratégie s’avère payante. Comme des petits pains, les lois en faveur de l’enseignement catholique se multiplient.

De l’association à la parité
La loi Debré de 1959 est la concession à partir de laquelle les faveurs à école catholique se sont étendues. La loi Guermeur a renforcé son caractère propre et les subventions allouées. Les accord Lang-Cloupet ont assuré la formation professionnelle des enseignants du privé par les IUFM. La loi Carle contraint les communes à payer les frais de scolarité d’élèves inscrits dans des écoles privées de communes extérieures. Désormais, le contrat d’association ne suffit plus. Pour son école, l’Eglise revendique la parité avec le public.
Conformément à ce principe, le sénateur UMP Carle (oui le même) a demandé, à l’assemblée du palais du Luxembourg , lors du vote du budget 2011, de transférer 4 millions d’euros d’un budget annexe de l’Education nationale à l’enseignement privé sous contrat1.
Sur le territoire français, il faudrait autant d’établissements privés sous contrat que d’établissements publics2. La création d’un collège catholique à Chalonnes-sur-Loire et le refus de construire un collège public à Beaupréau vont dans ce sens.

De la Fondation à la défiscalisation
C’est connu, l’argent est le nerf de la guerre. Pour obtenir les deniers publics, les écoles sous contrat, nous l’avons vu, use du principe de parité. Pour celles qui, volontairement, se situent hors contrat, leurs initiateurs doivent trouver d’autres voies. Toutefois, leur stratégie ne diffère pas. Le fondement en demeure la complicité avec des hommes et des femmes de pouvoir. André Lardeux, sénateur UMP de Maine et Loire, s’y prête volontiers. Au palais du Luxembourg, sous les ors de la République, il a présidé un colloque organisé par «la fondation pour l’école». Cette fondation qui affilie des écoles hors contrat, fut reconnue d’utilité publique en 2008. A ce titre, elle peut recevoir des dons défiscalisés à hauteur de 60%. Ces fonds serviront à construire des écoles pour des parents fortunés, ennemis déclarés de l’école laïque. La fondation «Saint Matthieu», aux objectifs identiques, est, elle aussi, une niche fiscale paradisiaque pour libéraux et bons catholiques. Présidée par Claude Bébéar, ancien patron d’Axa, et parrainée (entre autres) par le cardinal Vingt-
Trois, président de la conférence des évêques de France, la fondation Saint Matthieu, dans son conflit ouvert avec l’école publique, allie l’argent et le goupillon. Ah les bonnes oeuvres !

Il faut choisir.
Tant que nous estimerons que l’école laïque républicaine a pour vocation de former des citoyens critiques ; tant que d’autres, en revanche, considéreront que l’école doit préparer à des projets particuliers (religieux ou politiques), il y aura la guerre scolaire. Pour l’éradiquer, il faudrait la victoire totale d’un camp. La privatisation de tout le système éducatif représenterait (hélas) une éventualité. Un marché scolaire partagé se substituerait alors à la guerre.
Mais où iraient les enfants des pauvres ?
Le monopole de l’Etat en serait une autre, mais que diraient, à droite et à gauche, les partisans de la liberté d’enseignement ?.
A défaut d’une solution radicale, une pacification pourrait à terme se dégager si chaque école était financée selon sa nature. «Fonds publics à l’école publique, fonds privés à l’école privée», parce que logique, est (qu’on le veuille ou non) un principe de coexistence apaisée durable. Les militants laïques doivent le réactualiser, même si, (c’est de bonne guerre) les conquérants d’aujourd’hui le dénient. Les femmes et les hommes politiques de gauche, les républicains doivent, eux; choisir entre des accommodements pervers avec la loi de séparation de 1905 ou assumer, pour l’avenir, l’héritage de Jean Jaurès. Ils doivent clairement choisir leur école.

Jack Proult

1 En même temps 16 000 postes furent supprimés dans l’enseignement public
2 L’enseignement technique privé pouvant être financé sans limite, les établissements privés secondaires sont quasiment tous polyvalents. Par ailleurs, des pressions s’exercent pour que les collectivités territoriales puissent financer librement tous les établissements privés (reprise du projet Bayrou de 1993). On parle aussi de supprimer la taxe foncière sur les établissements scolaires privés.

LE NUMERO 95 EST PARU

Retrouvez le tout dernier Anjou Laïque avec au sommaire :

- Dossier : la pauvreté et la précarité
- Culture : le groupe Swing Sofa
- Anjou Laïque : appel à l'aide et la participation
- La rubrique association
- Les humeurs de Nono en dessin
- de nombreux autres articles de société ...

TELECHARGEZ LE NUMERO 94

Le numéro 95 de l'Anjou Laïque venant juste de sortir, vous pouvez télécharger le N°94 gratuitement en cliquant sur le lien ce dessous.

Bonne lecture